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Jrnl | Tout le reste s’ensuit

[25•12•14]

dimanche 14 décembre 2025


De nouveau : le monde est moins riche que mon désir.
C’est cependant dans ce monde — et non un autre — que je dois vivre mes désirs.
Tout le reste s’ensuit.

Dyonis Mascolo, Je suis ce qui me manque (fragments d’âme, 1938-1993)

Comme chaque matin, il est six heures vingt-neuf, dit la radio. Façon implacable d’appartenir à l’Histoire : de lui appartenir à chaque seconde en s’en arrachant (sommeil, délires). Toujours sur le point de la rejoindre, de s’inscrire dans ces boucles qui se développent en dehors de nous et finissent pourtant toujours par nous y inscrire, encre sur la peau morte qu’on ne parvient pas à s’arracher (c’est toujours une autre), fatalité qui prend le masque de la fuite, sur quoi est posé le masque de l’indifférence.

Lire plusieurs livres en même temps : on ne dit jamais ce que le trouble suscite, comment les textes se percutent et se renversent, ce que sollicitent en soi de telles frictions — la somme monstrueuse d’Edmund White autour de la vie de Genet (et la relecture parallèle de ses pièces à mesure que j’avance dans cette vie), les exercices spirituels de Mascolo (et le retour à son Communisme), le journal de l’année 2001 de Bartlett, puis les derniers récits de Kafka, Joséphine la cantatrice (après la belette en son terrier), ligne à ligne — sans rien dire de Petrolio de Pasolini — puisque, une semaine après le spectacle du Singe, je n’en suis toujours pas revenu —, qui repose, aussi hagard que moi, sur le bureau, et dans lequel je vole encore de page en page après l’avoir achevé presque d’une haleine. Non, ce n’est pas un seul auteur, tout cela, mais tout cela se dépose dans un seul regard qui n’est que le mien et recompose en vrac images et puissances, cherchant désespérément quoi en faire : trafiquant déjà toutes sortes de choses (sans parler de celles que je ne sais pas et qui se jouent en moi, par-devers moi), tramant un fil toujours sur le point d’être repris par d’obscurs tissus dans lesquels je ne cesse de me draper, pour disparaître peut-être.

Le ciel n’est jamais le même, et c’est cela qu’on appelle le ciel : cette façon qu’il a d’être ce qui toujours change et que personne pourtant ne saurait confondre avec autre chose ; manière élégante et terrible de ne jamais être lui-même, qui fait son identité. Être le ciel, et changer le monde en ciel — le désir, presque cruel, de vivre ainsi tout désir.