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la crevasse dans le glacier

samedi 9 mai 2020

16 février 1922.

L’histoire de la crevasse dans le glacier.

Kafka, Journal


Qu’on s’imagine le monde d’après et ce monde profitera de nos rêvasseries pour nous rouler sur le corps, avant de passer à autre chose : le temps qu’on le pense autre, il nous aura déjà écrasé, en pire. Qu’on s’abrite dans des pensées jetées au-devant des années, et on sera quitte d’un recul arrière, et nous dessous respirant à peine couverts par le tas de décombres qu’on aura participé à empiler. La ruine, c’est nous qui la bâtissons à force de dire qu’après sera forcément mieux, puisqu’après la pluie (etc.). Après la pluie, il y a parfois la pluie d’acide. Ou l’orage et le vent, qui apporte d’autres vents et d’autres pluies.

Des après, il y en a mille qui se forgent déjà, et combien contre nous ? Presque tous.

L’imagination est complice du pire quand elle ne puise pas ses forces dans les ventres des villes, dans le corps même des corps, dans la surface décevante des réalités d’ici et de là, quand elle ne traverse pas la seconde ci et la suivante.

Rêve. L’appartement qu’on me louait était singulier : deux pièces, mais séparées. La chambre était petite, paraissait immense parce que la fenêtre donnait sur la rue pleine jour et nuit, et c’était magnifique. Pour rejoindre le salon, il fallait sortir de l’immeuble, passer une cour intérieure et monter deux étages. Tout était parfait, sauf les deux cadavres au milieu qui gênaient considérablement le passage. Ce sont mes grands-parents, disait le propriétaire. En observant les sarcophages transparents, j’essayais de trouver une façon de m’en accommoder. C’était compliqué.

Il faut prendre la métaphore au sens littéral, hurlait la jeune fille, menaçant de tout arrêter (mais quoi ?)

Dans le train qui allait dérailler, je comptais les arbres qui brûlaient dehors.

Courir le long de la mer, des choses et des temps, hier soir, jusqu’à atteindre ce point où il est impossible de penser, où les pensées viennent seules et dans l’ordre qu’elles veulent, terriblement précises et forant en soi loin, justement, patiemment, découvrant une à une les vérités.

Par exemple : qu’on ne renverse pas le monde, on utilise ses forces contre lui. Qu’on choisit de peser sur une de ses radicalités : on ne peut faire autrement. Qu’on en change le cours qu’en acceptant de le chevaucher et de prendre sa part dans ses contradictions.

Autre exemple : le ciel est une donnée aléatoire de mon corps, un constituant de mon désir.