arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > la terre toujours recommencée

la terre toujours recommencée

mardi 22 juillet 2014

dix jours, la terre retournée sur elle-même pour recommencer, dix jours que cette photo a été prise, loin de la ville, et depuis ? dix jours que, revenu à la ville, chaque jour, presque le même dans ces jours parisiens de toutes les saisons, l’été brûlant, l’automne des pluies froides, le printemps d’arbres mouillés, la ville partout indifférente à ce qui tourne autour d’elle, la terre qui avance vers le soleil et s’éloigne, dix jours qu’ici, sur la table, les Lettres de Koltès un jour après l’autre chaque jour s’écrit la vie chaque ligne pour tâcher d’en rejoindre les énigmes et les évidences.

je pense souvent à cette image, la terre retournée, chaude et humide, à l’envers, comme un gant, un ventre qu’on viendrait fouiller et laissé en l’état - comme si c’était la seule manière qu’on avait trouvée, nous autres, de faire revenir de la vie sur elle, la terre ouverte en mille, et plus noire que de la nuit.

dans cette ville, la terre n’a pas de couleur ; tous les matins maintenant (on a d’étranges rituels), je vais aux Arènes lire une heure — un type, toujours le même, remue la terre avec une petite bêche ; ce n’est pas de la terre, plutôt de la poussière emmêlée de racines, de mauvaises herbes que tous les matins il ratisse, lentement, dans sa tenue municipale trop grande pour lui, épuisé dès neuf heures. Il retourne la terre, lui aussi ; tout près, les voitures passent, on ne les voit pas, tout près la pluie bientôt.

dix jours, le site laissé aussi en repos, et la vie, dans ces moments où l’écriture prend tout le pas, les heures et l’esprit, et le rêve ; la vie parenthèse (dans les parenthèses cependant, là que tout se joue et se dit, de l’amour comme ce n’est pas possible et de la fatigue vaincue), les mois de juillet & d’août en parenthèses de l’année (non, bien sûr, au contraire), et le site laissé seul, et le travail loin, pour laisser place à l’autre travail — appeler ça écrire —, en attendant, toute cette vie semble de la terre ouverte, laissée au repos, remuée à tous endroits, nue, au sein de laquelle s’agite mille vies, et sur laquelle la pluie peut-être viendra grandir une forêt, un champ, une ville, des corps pour s’y pencher et la ramasser, la jeter plus loin.