arnaud maïsetti | carnets

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par fort vent

mardi 12 mars 2019


« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos voeux » on t’en prie.

Rimb.


La mer n’est jamais calme. C’est à cause de l’horizon. Du vent possible. Des papillons en Norvège, des cris d’enfants qui font battre l’air jusqu’ici en tempête. Le pire n’est pas certain : il est toujours possible. Le meilleur aussi. On est entre les deux. Non : ne tient qu’à nous d’incliner vers le vent qui porte.

Par fort vent, le risque de noyade. Sans ce risque, pas de plongée dans la vie même, son élément vital. Sans ce risque, pas de possibilité de remonter à la surface. Tant pis pour le vent ? Tant pis pour moi : je veux bien le vent. Je fais le vœu du vent. Je cherche désespérément une comète pour le faire.

Ou autre chose : je fais la liste : il n’y a pas qu’apercevoir une étoile filante ; il y a aussi arracher les pétales d’une marguerite ; ou souffler sur l’aigrette du pissenlit pour faire s’envoler ses akènes – le désir de réaliser le désir est d’un raffinement toujours plus délirant, toujours plus impossible.

Je me souviens quand, ce mois d’octobre (il y a longtemps), je ne cessais d’apercevoir des jeunes filles en pleurs (dans le métro dans la rue chez des amis : des filles qui refusaient de ne pas pleurer, et le faisaient sans explication, terriblement simplement) : un matin, je me dis : quand je croise une jeune fille inconnue en pleurs, je fais un vœu. Ce jour-là, je n’en vis pas ; et jamais plus depuis, je crois (cette croyance est-elle un geste de foi ?)

La liste est sans doute encore longue : je ne la connais pas. Est-ce que peler une clémentine d’un seul tenant autorise le vœu ? Est-ce que faire le café sans le renverser, aussi ? Et vivre sans la pensée de mourir ?

On fait un vœu
pour que la vie s’incline : qu’elle se porte jusqu’à nous, non ? On fait le vœu que tout commence encore, que rien ne recommence pourtant. On fait le vœu que rien ne soit effacé des joies brutales, celles qui n’existent plus. On fait le vœu des joies brutales.

Je prolonge la liste : dormir sans cauchemar ; rêver de mes mains ; passer la nuit ; passer l’hiver ; passer le printemps ; renverser le gouvernement ; tenir en équilibre sur ses mains trois secondes ; passer sur la corde tendue à deux mètres du sol entre les deux arbres : toutes choses qui nous accorderaient un vœu. La vie, cette lampe qu’on frotte. Je sais bien qu’il ne faut rien laisser de notre désir à des souhaits puérils qui ne dépendent pas de nous.

Tant pis.

Je prolonge la liste : ouvrir les yeux quand tu as les yeux fermés ; se réveiller à 3h33 (ou 5h55) (plutôt à 5h55 s’il vous plaît) ; réciter le temps des cerises sans erreur – je sais déjà le vœu que je ferai alors - ; jeter en l’air une cuillère et la voir tenir droit et debout ; se jeter dans la vie et tenir droit et debout ; arracher ensemble l’os du poulet et le briser en son milieu, à part égale.

Alors on dirait chacun le vœu à voix haute. On se laisserait emporter par le fort vent parce qu’on serait soit-même le vent.


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