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pour couper les ailes de l’aigle

jeudi 14 juillet 2011


Fear Of Flying After Murder Park, 1995)


« Parce que la tortue a le pied sûr, est-ce une raison pour couper les ailes de l’aigle ? »

Edgar Allan Poe


C’était il y a deux ans, rue proche Champs Élysées, ces grandes allées d’arbres, ombres portées trop faiblement pour la chaleur qui passe, et la sueur, et l’attente. Juste deux ans aujourd’hui, les allées sont les mêmes, je crois, à cette heure, et la musique descendue en cadence du haut jusqu’en bas de l’avenue, résonne encore dans la fausseté.

Je me tourne ; de là, vue superbe sur les Invalides découpés dans la lumière verticale. Je m’approche, avec l’appareil, saisis tout ce qui tombe du ciel, cette lumière, ou sa verticalité, l’ombre passée, les hommes dans leur chute, le temps qui vient vers moi pourquoi pas, et l’oiseau, je ne l’avais pas vu. Ce n’est qu’au développement de l’image sur l’écran que je le verrai - peu importe. L’appareil l’avait vu pour moi, avant moi.

Dès lors : il y a ce qui vient en travers de l’image, sans que je l’aie voulu, seule chose que je peux désormais voir, trace sur l’image qui a empêché le réel derrière : et qui est, désormais, le réel advenu. Il y a cet oiseau qui entrave, et compose à mes yeux l’allure de ces deux ans, désormais — l’image parfaite, et en cours. Il n’y a pas de flou, seulement un peu de vitesse emparé malgré moi, malgré lui. Et derrière, ce qui tombe, un par un, comme à son tour, jours de chaque mois ensuite, les hommes qui scandent l’attente, l’avancée du jour.

Quand l’oiseau passe, l’image continue, il y manque quelque chose – comme il manque les jours à venir, comme il manque les écrivains morts à vingt ans sans une ligne avec eux, comme il manque ici la peur de là-bas ; il y a sur l’image la part manquante qui fait tenir droit l’image, et le réel, les Invalides, les mois passées, à venir, et le présent en fuite, sans qu’on n’en sache rien.