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qui rejoignaient les autres nuits

mercredi 13 février 2019


Oui, ce soir-là plus beau que tous les autres, nous pûmes pleurer. Des femmes passaient et nous tendaient la main, nous offrant leur sourire comme un bouquet. La lâcheté des jours précédents nous serra le cœur, et nous détournâmes la tête pour ne plus voir les jets d’eaux qui rejoignaient les autres nuits.

André Breton/Philippe Soupault,, « La Glace sans tain », Les Champs Magnétiques (Littérature, nº 8, Octobre 1919)

Bob Dylan, In the evening (1961, Live "Minnesota Hotel Tapes")


Le soir sait très bien ce qu’il fait : il tombe. C’est sa tâche, chaque soir, et le jour même : il sait où il va. Il faudrait entendre la leçon : tomber n’est pas s’effacer – c’est aussi reconnaître la route, savoir qu’on rejoint.

Les nouvelles tombent aussi : les bras ; les corps (la loi) ; les coups tombent ; minuit tombe aussi jusqu’à une heure du matin : les têtes (ce ne sont jamais les bonnes) ; les murs ; les tours ; les statues des princes ; les feuilles aussi, les yeux quand soudain on pense à.

Le voile tombe aussi (dans le regard) – on est de ce côté de la déchirure, il faudra attendre avant de dire un mot : on est de ce côté du silence, séparé.

Les salauds ne tombent que pour rebondir. C’est à cela qu’on les reconnaît : Les voir tomber nous fait enrager quand on sait la relève à venir : que ce soit eux ou d’autres salauds qui prendront le relai, quelle différence ? Les salauds ne tombent que pour laisser la place à d’autres comme eux : bien sûr, c’est tout ce monde qu’il faudrait faire tomber.

Oui, on ne pensait pas que le monde serait capable d’être plus laid : il le peut, il le prouve. La honte d’être un homme, on ne s’en défait pas – parce que certains jouissent de détruire des vies puisqu’ils sont hommes, on ne sera jamais plus en retour certains d’être ce qu’ils ne sont pas. On se dit qu’on est des hommes comme eux le sont ? Et qu’être hommes suffit peut-être à détruire ?

On regarde le soir tomber, on en fait partie – on a parfois de ces croyances qui sauvent.

Qu’est-ce que le soir rejoint ?

La nuit pouvait continuer ce soir-là ; et pourtant : la nuit continuera, plus tard, bientôt – tu partais dans cette promesse.

Les heures qui passent ne t’appartiennent pas ; toi, tu es d’ici seulement – quand le lendemain matin, les motards s’arrêteront pour voir le soir devenu de l’aube toute crue, tu t’arrêteras aussi, pour lui écrire quelques mots.

Tu voudrais emporter les voiles avec toi, les déchirer – les voiles, plutôt que des larmes sur le visage.

Le passé devrait servir d’arme pour traverser les mauvais jours – de rien d’autre. Si c’est du sel sur les plaies, il faudra pouvoir lécher sa main, et sur les lèvres, passer la langue.

Des phrases courtes, c’est tout ce qu’il reste d’une journée si pleine et d’une nuit aux milles rêves ; des mots déposés sur la table (je les ai emportés avec moi) ; des colères qui sont autant de terreurs ; des désirs comme de voir le ciel, mais de dos ; des instants qui ne durent pas, mais qu’on éprouve terriblement ; des silences.

Les coureurs sur la corniche sont mes frères et mes sœurs. Ils longent la vie qui s’achèvent et font rouler la terre sous leurs pieds. Ils disent que tout n’est pas fini. Ils racontent l’histoire des solitudes partagées. Ils voudraient s’approcher de ce qui commence. Ils désirent encore désirer encore. Ils ne le savent pas. Ils ne savent rien. Ils respirent si fort la mer échouée à leur pied. Ils ne se satisfont pas de ces échecs. Ils entendent les rires. Ils savent que ces rires repoussent la mort de l’autre côté des choses.

Les autres nuits passeront par moi.


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