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regards de Saint-Sébastien

lundi 29 août 2011


All Saints (David Bowie, ’Low’1977)


« Et les archers le frappèrent jusqu’à ce qu’il soit recouvert de flèches comme un hérisson est couvert d’épines »


Legenda Aurea


Des images de Calvaires, j’en compte près de trois cent. Au hasard, je trouve ce Saint-Sébastien, au visage qui transperce, le regard vide posé avec douceur sur la vieillesse du monde. Je m’arrête un peu devant lui, avec le sentiment incompréhensible que l’on se situe, ici, de l’autre côté de ce regard.

La vie de ce saint est manquante, comme toute vie de saint. Il ne reste que la répétition d’une même phrase qui vaut pour chacun d’eux – qui est l’imitation même de la vie du Christ. Le récit, pour ces auteurs qui racontaient ces vies, était une sorte de création à l’envers : un geste accompli seulement pour rejoindre la récitation d’une seule et même et parfaite vie, achevée dans sa perfection. Le regard du saint porte ces mille vies avec lui, et les dépose sur moi, qui ne crois en aucune d’elles.

On dit que les archers, qui avaient reçu l’ordre de l’abattre, évitèrent le cœur pour l’épargner, parce qu’ils s’étaient pris d’affection pour celui qui avait été leur capitaine. On dit qu’il en éprouva des souffrances plus profondes encore, puisqu’il survécut un temps à ces flèches. On dit qu’il protège de la peste, parce que jadis avant lui Apolon, le dieu-archer, préservait de la maladie. De l’archer à sa plaie, les talismans se transmettent, d’un dieu à l’autre – et à leurs pieds, la maladie qui nous touche reste la même, peut-être. Mais quand la peste a disparu, Saint-Sébastien porte le même regard sur nous, oui, le même que celui qu’il adressait quand on levait vers lui les prières des mourants.

Des images de Calvaires, pourquoi me reste-il celles-ci entre les doigts, ces statues fières, sans cheveux et sans yeux, qui regarde, comme un miroir sans tain, le dépôt de jours rapides sur eux. Combien d’hommes passés sur lui – et moi, je leur survis ; moi, je suis après eux. Des tâches fabriquées par le temps sur le visage le blessent davantage que les trous qui forment son corps. Moi, mes cheveux ne tombent pas – pas encore –, et je lève les yeux sur lui tout simplement parce que je suis vivant, encore.