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Si différent du monde réel que soit conçu un monde

[Jrnl • 17·10·22]

lundi 17 octobre 2022


Il est patent que, si différent du monde réel que soit conçu un monde,
il faut qu’il ait quelque chose — une forme — en commun avec lui.
L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus (1921)

C’était une grande étendue d’herbe presque sauvage devant ce qui ressemblait à une bâtisse sans doute abandonnée, je ne sais pas, et je regardais lentement ce qui tout autour cernait l’horizon : une forêt intacte depuis la création, dense, large, haute et hostile ; sans me retourner je m’adressais à celui que je savais derrière moi regarder la même terreur et lui disais, voilà, c’est cela la réalité, et je voulais dire par là, évidemment : peut-être est-ce la seule chose dont on ne puisse douter qu’elle soit réelle, implacable, et disant cela, je savais aussi que j’étais dans mon rêve, ou peut-être est-ce parce que je me savais dans un rêve que je disais cela, comme ayant trouvé un défaut, heureux d’avoir débusqué le secret qui m’arrachait à ce monde-là, étant quitte de son mystère et de sa tricherie : seulement, impossible de me réveiller.

À quoi reconnaît-on qu’on est coupable quand on ne l’est pas — et inversement —, je ne sais pas ; on regarde les bêtes mourir, les glaciers fondre, le monde tomber à nos pieds (et on l’enjambe) ; on ne voit plus aucune étoile maintenant (comment lire le monde, l’avenir, le passé ?) ; on aime encore ; on désire même ; on voudrait Atitlan ou Bagdad et il n’y a plus que des visas et des cadavres pourrissants, on est bientôt l’un d’eux, on ne sait pas s’il restera quelqu’un pour nous pleurer : ou si l’on sera les derniers parmi ce monde à pleurer des morts ; dimanche est passé si vite.

Deux choses sont impossibles tout à la fois : être seul et ne pas être seul ; et on va de l’un à l’autre impossible en prétendant que tout va bien, que tout va bien.