arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > vue imprenable

vue imprenable

jeudi 19 août 2010

blocs restreints, lacunaires, épars dans l’étendue de la voix qui les incorpore — et, de vide en vide, attisant leur mobilité, leur ajournement — la lame de l’abîme qui l’authentique en la chassant…

J. Dupin



The Turn (A Pagan Lament) (Fredo Viola — ’The Turn’ 2009)


La ville, c’était Gordes, elle est posée en bascule sur la montagne, les gens s’y pressent en été pour voir le vide dessous ; s’il y a trop de monde, on peut la voir se pencher davantage, presque tomber (dans la chute, on sortirait les appareils photos et les téléphones portables pour ne rien manquer).

Au coin, le café des Amis de la République, avec statuts encore en vigueur depuis 1873 (et prix de cotisation inchangée) : placé en face de l’église, pour mieux jauger l’ennemi, on s’y réunit le jeudi soir ; on y parle encore de la sociale, peut-être, mais comme pour mimer le vieux rituel. Le théâtre n’est pas loin aussi.

À un autre angle (ville faite entièrement d’angles), des bistrots, des marchands de glace, des restaurants — ville transformée en carte postale. Les fenêtres sont fermées : ceux qui habitent là dans le temps réel ont vidé les lieux — on peut les comprendre.

Dans une ruelle qui descend, les façades se chevauchent ; blocs de pierre sombres, jamais refaits parce que les touristes ne viennent pas ici ; blocs insalubres et de mémoire oublieuse, au risque de toujours être là, incontournable quand on voudrait faire table rase pour ouvrir les perspectives sur le maquis.

Ici, l’horizon est pourtant imprenable — façades sur façades, blocs contre blocs qui se dressent littéralement et sur lequel le pas se heurte, et le regard ; et qu’on lancerait bien sa voix pour mesurer l’écho, s’il n’y avait ce bruissement de ville en ruche investi par l’été : on se risque seulement à s’emparer de l’image, on viendra la voir quand le silence se fera (par exemple, ce matin, ici, dans une toute autre ville, une toute autre saison) et qu’on pourra jouer pour soi l’écho intérieur de la ville.