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Milan #1 | Ville à ciel ouvert
En passant
vendredi 3 juin 2022
La vouivre n’est donc pas seulement ce dragon étrange ni serpent ni oiseau, enroulée sur elle-même sans qu’on sache si c’est de terreur ou pour l’inspirer. C’est aussi l’emblème de la ville de Milan qui se dessine sur chaque bâtiment, discrètement, sorte de souvenir dont on n’a plus la mémoire et qu’on garde par habitude, superstition, trace d’une terreur éteinte.
Trois jours à Milan, deux nuits : la découvrir entre deux salles de colloque — l’Università degli Studi di Milano est loin du centre, quelque part dans cet espace intermédiaire entre la ville et ses banlieues et qui n’existe que pour séparer les marges des touristes. Marcher dans cette ville écrasée par la chaleur, c’est tâcher d’éviter d’en être un, de touriste, et de tenter péniblement de devenir un passant. Est-ce possible ici ?
C’est sans doute le sort de toutes ces grandes villes d’Occident : être réduite à cette longue enfilade de commerces interrompue seulement par des églises, quelques bâtiments publics mal reliés entre eux par des transports défaillants sur lesquels râlent des gens pressés.
Ici et là, les bâtiments publics en travaux sont recouverts de grandes publicités obscènes : obscénité qui parait seule présider aux lois géométriques et architecturale de cette ville.
Le passé paraît une ruine encombrante qui fait lever malgré tout des beautés sidérantes, si folles qu’on ne sait pas quoi en faire : alors on les laisse là. Des églises d’autant plus fascinantes qu’elles aussi, à leur manière, font violence à l’obscénité des réclames, à la rigueur abjecte des édifices fascistes si nombreux ici, et à l’absence d’ombre et de lumière dans une ville écrasée par la lumière, mais sans horizon.