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Bertrand Cantat | Amor fati
vendredi 29 décembre 2017
Amor fati, voilà ma formule ; ne pas demander de changement, ni au passé, ni à l’avenir, ni à l’éternité. II ne faut pas se contenter de supporter ce qui est nécessaire, - il faut encore moins le cacher (tout idéalisme est mensonge en face de la nécessité), il faut l’aimer.
Nietzsche, Ecco Homo, §10
Aimer ce qui est aussi le plus inacceptable, le plus terrible et le moins guérissable : aller au-delà de l’acceptation, mais désirer encore ce qui est là au nom de ce qui a été, et malgré ce qui a été – pour mieux être, et au nom des autres aussi, pour demeurer encore. Dire oui à tout cela, même aux pires non. Ja Sagen, phrase en laquelle tout l’Amor Fati est enfoui : le contraire d’une arrogance, d’un surplomb, d’un défi fait à la morale – plutôt au contraire le geste de celui qui malgré tout vit et fait de cette vie de quoi traverser les passés, en accepter la part de terreur, et d’en être aussi témoin. Ja Sagen, phrase de l’Amor Fati : contraire aussi de la résignation fataliste, plutôt l’acquiescement aux douleurs mêmes, aux malheurs – à soi-même comme douleur, comme malheur accompli, qui forme la vie qui demeure aussi –, Amor Fati : accepter ce qu’on ne pourrait pas accepter. Amor Fati : amour du destin qui nous jette à la rencontre de nous-même comme son propre ennemi, son allié par-là même pour vaincre cet ennemi : à la rencontre de ce qui est aussi insupportable que la mort, et la vie en quoi elle est aussi mêlée : amor fati, c’est accepter ce qui est là, en dépit de ce qui fut, le passé amassé comme ce tas de vie qu’on endosse, et qu’il faut bien emporter vers l’avenir, avec tout ce qu’il contient : Amor fati comme on épouse chaque instant qui devient en nous ce nous qui nous agrège au destin. Un acquiescement pour porter ce qui a eu lieu au lieu où la vie pourrait de nouveau être possible, si elle le veut : l’acquiescement, ce geste premier et dernier face à quoi on peut encore aller, et dire ce qui est est, et reprendre son souffle.