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Nos sites sont-ils personnels ?
lundi 21 février 2011
Jo ti recuardi, Narcis, ti vèvis il colòur
da la sera, quand li ciampanis
a sùnin di muàrtJe me souviens de toi, Narcisse, tu avais la couleurdu soir, quand les clochessonnent le glasPier Paolo Pasolini(Poesie a casarsa, in Poèmes de jeunesse, 1941)
Ai oublié la formule exacte de la question, si c’était pour demander pourquoi mon site n’était pas personnel, ou si juste pour questionner la chose, que le site ne l’était pas, personnel. Avais aimé,chez cette amie, dont l’écriture m’importe tant, le souci, et le regard, et l’angle de sa question — je sais d’où elle venait, cette question, de quelle langue, de quel territoire de vie et d’écriture. Elle s’est immédiatement reprise, sentant, ou devinant, que le mot n’était pas tout à fait juste, ou un peu décalé. Mais y en-a-t-il d’autres ? Moi, je n’ai pas su répondre.
Quelques jours plus tard, m’est revenu ce mot, personnel — et s’il me fait violence, comment le défendre, malgré tout ? En défendre la justesse en dépit des décalages, en défendre l’idée et la question qu’il me pose. Littré me dit :
PERSONNEL, ELLE
(pèr-so-nèl, nè-l’) adj.1° Qui est propre et particulier à chaque personne. L’intérêt personnel.
Ce ne sont pas les sentiments de M. Arnauld qui sont hérétiques ; ce n’est que sa personne : c’est une hérésie personnelle, PASC. Prov. III.Entrée personnelle, droit d’entrer dans un lieu public qui ne peut se céder à d’autres.
Entrée personnelle : le site comme entrée sur des espaces de soi à soi-même inconnue, invisible : l’œil avec lequel on verrait enfin son œil, réfléchissant ce qu’il perçoit, renvoyant ce qu’il pourrait.
Pas d’autre mot, non : et évidemment, ce n’est pas un critère, ou une exigence ; juste que cela s’impose. Une loi : oui, une loi — comme celle de la gravité, ou de la relativité. On n’y échappe pas.
Cette phrase de Barthes : on n’écrit qu’avec du soi.
Mais personnel, une limite aussi — combien je me tiens au seuil de ma vie quand j’écris, si j’en ai une : au sens où impossible pour moi de la noter, ce serait comme recopier page déjà lue — alors, préfère (mais illusion de préférer : ai-je le choix ? ne suis que secrétaire de voix, moi aussi, qui retient ce qu’il reçoit) saisir ce qui dans le jour fait défaut à mon désir, ou l’excède en tout, et tenter d’y voir, clair, non, mais l’opacité arrachée à ce qui l’empêche.
La langue, je m’en sers pour faire levier aux heures qui me détachent d’elles, ou qui m’absorbent.
Prendre une seule minute, véritable ou potentielle, vécue comme telle, ou seulement éprouvée, et y retourner dans l’écriture ; un froissement de lumière qui pourrait m’aider à voir que. Ou dire enfin malgré tout parce que.
La ville comme projection de soi ? Bien sûr. Mais pas seulement, évidemment. Ne pas renoncer à se trouver quelque part où la ville est déjà passée, a déjà passé : bruissement de feuilles volantes qui planent, comme une rumeur où se brancher.
Rien de personnel comme visée, et tout l’est comme regard, ici, sur ces pages : photo du jour, musique — sorte d’espace de concentration du jour et des correspondances que je pourrai fouiller.
C’est dans tout indifféremment que j’ai chance de trouver, puisque, ce que je cherche, je ne le sais. (Michaux)
Personnel : je m’arrête sur une entrée proposée par Littré, que je ne comprends pas, mais que je saisis profondément malgré tout : qui dit mieux que je ne le saurai cette étrange équation de la vie vécue et de l’écriture éprouvée, les jeux mécaniques entre le réel et l’expérience, entre soi et les autres à qui l’on s’adresse dans le hasard le pus grand, la folie que ce hasard parfois recèle, et le désir surtout d’empoigner le bras du premier qui passe, les champs de force qui s’organisent et désorganisent la vie, les risques pris, les erreurs qu’on affronte, les affrontements qu’on provoque sans certitude, les chance qu’on donne à l’échec, les angoisses, les joies les plus absolues de ne trouver que de l’autre dans soi, les minorités qu’on aiguise à l’intérieur de son corps pour dans le désir encore et toujours ne traquer que sa part la plus âpre, les violences qu’on s’inflige à ne jamais atteindre, et toujours dans la volonté de rejoindre, cette ignorance qu’on porte en soi et qu’on déplace quand on a tant charge de voix éclatées, qu’on se donne pour vie de les emmener un peu plus loin, trouver territoires où mourir encore, origine sans cesse en avant, et que jamais rien ne suffisse à soi-même, être toujours comme devant tâches plus fortes que soi et s’en porter garant : trouver quelque part la vie possible, où qu’elle soit, encore.
Cette entrée de Littré
Terme d’astronomie. Correction personnelle, la différence obtenue en retranchant du temps réel le temps estimé.Cette différence entre le temps réel et le temps estimé, c’est là où je suis, intercepte dans la blessure de ce retranchement, aux chutes élaborées des mots et de la lumières des rues : là où j’écris, où je me tiens.