Devant une image ancienne, très ancienne, des premières photographies, toujours cette pensée : qu'on voit là les premiers morts de l'histoire. Sur un tableau, c'est toujours une fiction de visage. Au contraire, dans la photographie, l'image a retenu...

Apr 4 -

Devant une image ancienne, très ancienne, des premières photographies, toujours cette pensée : qu'on voit là les premiers morts de l'histoire. Sur un tableau, c'est toujours une fiction de visage. Au contraire, dans la photographie, l'image a retenu la lumière directement posée sur le visage, directement puisée là au visage qui reste, qui est mort donc – et c'est dans le même pensée que cela me parvient, sans mélancolie. Les visages des enfants surtout, sur les photographies du début du siècle : je vois les corps sous la terre.

Cette photographie de Paris, prise par Louis Daguerre en 1838, je la connais de longtemps, ne suis pas le seul, elle est célèbre. Je l'ai sur mon ordinateur depuis des années et souvent je rêve face à elle. J'ai voulu cet espace au verso  des mes carnets pour ce genre d'images, et le rêve qui l'enveloppe.

C'est donc, paraît-il, la première photographie de l'histoire avec un homme imprimée sur elle. Ce n'était pas exprès. Il est en bas de la rue, là. Et si on le voit, c'est parce qu'il est resté longtemps immobile, dans le soir, mais peut-être est-ce l'aube. En fait, on ne le voit pas, mais ils sont deux : assis, le cireur de chaussures lui fait tenir la pause.

Ce qui fascine, c'est la netteté des traits de l'immeuble au devant, la brûlure blanche à l'arrière-plan. Et le grain de lumière sur la chaussée. Une eau-forte, une gravure chauffée à blanc par le temps, le grain de présence retenue. Et les silhouettes de ces types : et leur solitude de mythe (où est la foule ?).

Quand je passe en bas du faubourg du Temple, toujours je m'arrête, un peu, frôler les fantômes, ceux qui sont restés fichés dans le temps les premiers. Je pense au cireur de chaussures et à celui qui se préparait à les user, mais sur quelles routes ?

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