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Vietnam #5 | mirages de la Baie d’Halong terrestre

lundi 23 novembre 2015


9 octobre.
Quelque part bien au sud d’Hanoi.

Mais où ? Au matin, six heures à l’aube est déjà écrasant de chaleur, de moiteur, d’étouffement. Après une courte et mauvaise nuit dans le train en déséquilibre permanent sur des chemins de fer effondrés sous son passage, c’est de nouveau Hanoi, la ville. Et c’est rapidement la route qui plonge dans les terres. La fatigue l’emporte. Quand on lève les yeux trois heures plus tard, on est ailleurs. Ce n’est pas la montagne du nord, ni la ville du centre, ni la mer. La pluie tombe et la brume monte ; puis monte et tombe. À la surface de l’eau, on verra jaillir l’averse, et partout autour, le brouillard comme de la fumée. On appelle cela Baie d’Halong terrestre, mais ce n’est pas une baie, il n’y a pas vraiment de terre, et Halong est à trois cent kilomètres à l’est. Où, alors ? Les canaux conduisent vers des pitons rocheux que la mer, retirée depuis des millénaires, a abandonnée à la terre. Ils se dressent aux caprices du brouillard dans un étrange désordre, jusqu’à imposer cette harmonie menaçante, irrégulière, labile. On se faufile entre ces blocs de matière. On ne va nulle part. Tout autour, la brume veille, et la pluie se répand comme le sommeil : d’un seul coup sans qu’on s’en aperçoive.


gare de toutes les gares : l’aube

on s’engouffrerait dans les entrailles de la terre à ciel ouvert

les bêtes fabuleuses sont là, comme des légendes

ce qui tombe nourrit, ce qui monte engendre – est-ce l’inverse ? l’eau descend, les plantes surgissent des tréfonds

et les hommes travaillent ici l’eau comme de la terre, qu’ils raclent et bêchent et sèment et creusent et recueillent et, jusqu’à la fin des temps

des pitons répandus sur la terre, levés comme des rêves, perdus comme du passé, terribles et beaux comme tout ce qui est terrible et beau, inaccessibles à mesure qu’on s’approche d’eux

frontières imaginaires : c’est là que j’aurai pris la dernière image à la pluie ; là que la pluie ensuite m’a noyé mon appareil (heureusement, j’avais d’autres armes)

aux reflets des temples, le ciel et la mer se confondent dans la pluie, la pierre voudrait ressembler aux barques du paradis, les hommes sont loin désormais, et c’est ainsi que l’Histoire s’éternise peut-être