arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques

Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques

lundi 9 mai 2016


Il n’est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N’écoute même pas, attends seulement. N’attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s’offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi.

Franz Kafka, Méditations sur le péché, la souffrance, l’espoir et le vrai chemin.

Tu tendrais des masques à la réalité pour mieux t’en recouvrir ; tu lèverais les mains comme cela. Tu marcherais dans le jardin du Luxembourg pour cette seule raison : de la statue aux masques, tu chercherais l’angle qu’il faut pour que le masque vienne contre le soleil et s’ajuste à cette vie-là, sans exemple.

Ensuite, tu t’en irais.

Tu écouterais Maxence Cyrin jusqu’à tout connaître des mouvements de poignet en retard et en avance sur le temps.

Tu penserais au film de Bernard Queysanne, au visage de Jascques Spiesser, à la voix terrible de Ludmila Mikaël ce jour-là.

Tu ne voudrais pas l’écrire – qui comprendrait ? – ; tu réserverais ces quelques mots dans le site que personne ne lirait plus ; un endroit où on entrepose la lumière par exemple.

Tu repenserais à ta semaine : Paris que tu n’auras pas vu ; ou le soir, aux Abbesses (un détour par la rue Cauchois). Le temps aura passé. Quand tu écriras sur le site, rien que de l’oubli, qu’il faudra écrire aussi.

Tu te dirais : c’est le début ou c’est la fin : comme toujours quant tu commences quelque chose. Tu penses à la nuit qui vient. Tu ne penses plus du tout à elle comme à un projet, plutôt comme à une part de ta vie. Tu ne sais pas si c’est bon signe, ou non. Tu penses aux projets échoués sur le sable comme des méduses mortes. Tu penses au mouvement des corps qui s’échouent sur toi.

Et tes pensées reviennent à cette statue au masque levé au soleil : comme tu sais combien ce geste soulève en toi toute la vie, même celle qui n’est pas la tienne. Tu te glisses dans cette image : tu penses, pensant à cette image : si j’étais statue, je tendrais des masques à la réalité moi aussi, et je m’en irais.

Dans le jardin du Luxembourg ce jour-là, la lumière tombait si lentement, comme mes pensées ; qu’en reste-t-il ?