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solstice des vies passées, et à venir

mardi 21 juin 2016

La nostalgie est une structure du temps humain qui fait songer au solstice dans le ciel.

Pascal Quignard, Dernier Royaume, Abîmes

Les Shoshones, les Cheyennes et les Sioux Dakota danseront aujourd’hui tout le jour face au soleil, la peau percée, dans les cris et le sang tombé – le jour le plus long est celui des plus longues douleurs et des plus terribles joies.

Sous Pharaon, devant le gonflement des eaux du Nil ce soir, des paysans par millions prieront genoux à terre le dieu Chacal et, paumes levées, recevront entre leurs lèvres ce jour qui commence l’année.

À l’abri des pierres hautes de Stonehenge, il faudra se placer devant le Heel Stone à l’axe même (il est décalé) du vent et de la lumière pour se laisser traverser par la bascule du temps, sentir la terre sous ses pas se dérober et parvenu à la centralité parfaite de son horizon, tomber infiniment sous son poids.

Dakshinayana. On célèbre Dakshinayana aujourd’hui : le soleil entre dans Mesha et dans Toula : plonger dans le Gange ce jour-là est mourir, et vivre davantage.

Partout sur la terre celte, les shamans récolteront vers le soir les herbes en murmurant les paroles de leurs ancêtres – sans quoi la terre cesse de pousser, et les hommes de naître, et les paroles de parler : c’est litha, et c’est aujourd’hui pour des siècles.

Les Incas regarderont dans le jour qui tombera lentement le soleil en réclamant du sang, comme chaque soir.

À quoi tient la lenteur du jour ? Il faudrait le retenir encore, et encore. Le 21 décembre, on est plein de terreur (car la nuit est sombre) devant le jour dévoré par la nuit ; et le 21 juin – plein de terreur encore devant la nuit qui semble s’éloigner.

On est plein de terreur devant cette vie qui chaque jour devient de la nuit : et qui ce jour est l’équilibre de la nuit et du jour.

Les rites qui voudraient conjurer le temps ne servent qu’à appeler les forces : et dans les terreurs qui les contiennent, on est de l’autre côté du temps comme si on était sauvé. Comme si on était différent des hommes qui pensaient la vie emplie de forces.

On est sans force, mais non pas sans vie.

Dehors quand j’écris ces mots, les hélicoptères passent au-dessus de l’immeuble pour surveiller les foules qui s’amassent dans le stade. Les hurlements des sirènes. Les cris et les bombes agricoles. Les fumigènes, les gaz lacrymogènes. Tout cela dans le 21 juin qui monte plein de lui-même, gorgé de son propre désir d’en finir cette fois avec la nuit.

Quand il fera nuit, ce jour, il faudra penser au jour, avec tendresse et consolation : il aura fait le plus beau de son temps.

À mon âge, on est déjà jeune depuis longtemps aussi. On espère cette vie toujours comme la veille d’un 21 juin, et on se réveillera en décembre, peut-être.

Quand il fera nuit ce jour, il faudra penser au jour mort avec rage et garder les yeux ouverts, et le venger toute la nuit jusqu’à l’effondrement.


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