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Avignon #1 | se cogner la ville

lundi 18 juillet 2016

Arles, Aix, Avignon : en une semaine, passer d’une ville à l’autre change le décor, pas vraiment la couleur de la nuit. Dans chacune des villes, aller d’un théâtre à l’autre, d’une rue noire à l’autre en essayant de rejoindre le lendemain.

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner » (Perec)

Je pensais plutôt le contraire : vivre, chercher à s’affronter – à travers quelques pièces, des corps et des voix – à ce qui excède la force de vivre. Se cogner aux angles du monde et ne pas s’en tenir préservé. Dans la folie des derniers jours – Nice, la Turquie, que savons-nous encore –, l’œuvre de mort de notre temps remet les métaphores à leur place : c’est une juste chose. Pourtant, se cogner à des œuvres nécessaires, c’est ne pas chercher à trouver refuge loin du monde : au contraire. Ce serait vouloir intensifier le sentiment de la vie. Pas à la perdre quelque part sur une route de fête.

On est donc contemporain de ce monde, et il faut l’accepter aussi – ne pas s’y résigner. « Préparer les ripostes » écrit le camarade Olivier N., oui. On se trompe peut-être, mais on voudrait trouver les armes (sensibles) dans quelques théâtres qui le plus souvent – et c’est toujours une colère autant qu’une douleur – ne font que lever leurs propres murs, et voudraient être préservés du monde. On n’est jamais préservé du monde : sauf à accepter cette lâcheté. Sauf à renoncer au combat.

« Le réel, c’est qu’on se cogne » (Lacan)

Tant de pièces qui refusent de se cogner le réel : lui ne demande rien à personne pour venir cogner ces pièces toujours trop pleines d’elles-mêmes.

« À se cogner la tête contre les murs, il ne vient que des bosses » (Musset)

Arles, Aix, Avignon : dans certaines conversations graves et autorisées, c’est comme si se jouait là le sort du monde. Rien de plus dérisoire que l’art s’il voulait n’être que cela, la levée d’autres mondes. Non,

« Il n’y a pas d’autres mondes. Il y a simplement une autre manière de vivre » (Mesrine).

Contre le sentiment que le monde est perdu, il faudrait lui opposer le désir de le changer à partir de lui, et de puiser dans certains territoires intimes et collectifs que lèvent certains théâtres, rares, si rares, la puissance qui saura le venger et le traverser.

« De fureur, il s’en va cogner un grand coup dans le petit poële. Tout s’écroule, tout se renverse. » (Céline)

Heureusement, on a des antidotes. Contre le dépit et la mélancolie critique, on possède certaines joies : celles des communautés qui n’ont pas renoncé, de l’amitié qui dans nos désaccords partage des horizons et des gestes. Écrire, par exemple : être face au théâtre pour mieux en faire une arme par destination. Ne pas s’en tenir là. Refuser la clôture des formes. Fouiller les désirs. Organiser les soulèvements. Depuis une semaine avec les amis de l’Insensé [1], et encore pour une semaine : ce sera le programme. Le projet, le désir. Tenter de tenir le pas gagné, encore et encore, malgré tout.


Portfolio

[1collectif d’actions critiques : l’écriture critique des spectacles comme prétexte à fourailler le monde