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les villes qui n’existent pas | Bielefeld

vendredi 4 août 2017


Un projet : constituer l’atlas des villes qui n’existent pas.
— Présentation du projet
— Sommaire des textes :

– #1 Bielefeld – #6 Atitlán – #11 Byblos - #16 Dugway
– #2 Atlantide – #7 Babel – #12 Beauregard - #17 Tchernobyl
– #3 Troie – #8 Potemkine – #13 Monde vide -#18 Eldorado
– #4 Detroit – #9 Guanahani – #14 Çatal Höyük - #19 L’île de Bermeja
– #5 Tombouctou – #10 Ghjirulatu – #15 Jéricho

Et pour commencer : la plus illustre d’entre elles : Bielefeld.


Il n’existe pas de ville du nom de Bielefeld : qui habiterait une ville avec ce nom ? Bien sûr, on le trouve sur les cartes et dans les livres des villes du monde, bien sûr, certains en parlent comme d’une ville qui existerait et désignerait une ville industrielle d’Allemagne, dans le Nord-Est de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à la lisière de la forêt de Teutberg. Une ville qui porte le nom d’une race de poule domestique est insoupçonnable. Avec une population en 2014 de presque 330 000 habitants, Bielefeld est la plus grosse ville de la région de Westphalie Est-Lippe nous disent les livres. Et pourtant, on sait bien que Bielefeld n’existe pas. La preuve ? Je ne suis jamais allé à Bielefeld. Et vous ? C’est bien ce que je disais.

La scène se passe au cours d’une soirée entre étudiants, en 1993, à Kiel, peut-être une ville du nord de l’Allemagne, capitale de l’État fédéré de Schleswig-Holstein. Achim Held est présent à cette soirée. Il entend un de ses amis dire qu’il est originaire de Bielefeld. Un autre de ses amis répond : c’est pas vrai ? Ou plutôt : Das gibt’s doch nicht – « ce n’est pas croyable ».

Puisqu’une ville ne tient qu’à la croyance qu’on éprouve, la phrase reste, entre eux, comme une de ces phrases-clés qu’on se transmet pour partager un secret et qui scellent les plus belles conjurations.

L’automne suivant, de grands travaux sur l’autoroute qui fait la jonction entre Kiel et Essen coupent les accès qui conduisent à la ville qu’ils nomment Bielefeld. Achim Held emprunte souvent cette route et souvent à hauteur de cet espace sur le monde qu’ils nomment Bielefeld il soupire : c’est à peine croyable.

En 1994, sur Usenet (de.talk.bizarre), Achim Held passe le mot : Bielefeld ? Personne ne peut y accéder : la ville n’est qu’une fable, comment y croire ? Elle n’existe pas. Le mot passe et demeure.

Des faisceaux de signes ne cessent de converger vers Achim Held. Oui, Bielefeld, cette ville qu’ils nomment Bielefeld, ce nom qu’ils ont trouvé, Bielefeld, a été inventée seulement pour qu’on puisse y croire – ville dont rien ne prouve l’existence. Des preuves ? Tout ce qui y fait allusion relève indubitablement du complot, prouve qu’un complot qui conspire à faire de Bielefeld une ville existe : et que cette ville n’existe pas. La preuve ultime ? Vous n’êtes pas allé à Bielefeld (consulter vos souvenirs, scrutez vos âmes, ne mentez pas).

En 1995, sur une page web qu’il créé (bv.bytos.de), Achim Held expose ce fait, note scrupuleusement les indices et répertorie les événements qui aboutissent à cette conclusion irréfutable : Bielefeld n’existe pas.

En 2014, pour les huit cent ans de cette ville qui n’existe pas, le slogan trouvé par les conspirateurs était évidemment tout trouvé : Das gibt’s doch gar nicht.