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Incertains Regards n°6 | Voix de disparition et force de la plénitude. Shams d’A.-G. Khalffallah

« La disparition » 

lundi 5 décembre 2016

 « Voix de la disparition et force de la plénitude (notes dramaturgiques sur « Shams, de Amira Géhanne- Khalffallah. », in Incertains Regards n°6 « La Disparition », Presses Universitaires de Provence, décembre 2016.

Parution cet hiver 2016 du nouveau numéro de la revue Incertains Regards, consacré à la disparition, édité aux Presses Universitaires de Provence.

J’y fais paraître une note dramaturgique sur la pièce Shams d’Amira Géhanne-Khalffallah, qui accompagne la mise en voix de la pièce, diffusée par CD avec la revue, interprétée par les étudiants du secteur théâtre d’Aix-Marseille Université.



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Présentation de la revue

Résolument, oui « résolument » ouvert sur les pratiques contemporaines, et promettre un dialogue avec ceux et celles qui donnent au temps sa texture, ses couleurs, son rythme... Résolument soucieux de l’écriture poétique et plastique... Résolument attentif à ces archipels d’utopie que sont les territoires de l’art toujours fragiles et ses temps intermédiaires menacés nommés « expérience esthétique »... Résolument indépendant des frontières qui s’accordent mal avec la libre circulation de la pensée... seul véritablement libre-échange que ces temps flous et rugueux voudraient contrôler à l’époque du grand dérèglement... Résolument actuel, aux prises avec le quotidien, en prise avec les singularités quelconques...

Résolument, dans la parenté de l’œuvre, se tenir et devenir un « partenaire invisible » comme l’écrit Christophe Bident à propos de Maurice Blanchot, et privilégier une parole qui réfléchirait une intimité s’éloignant d’un discours de contrôle. Résolument envisager cet espace d’intimité, ce Innigkeit, dans les parages de la Parrhesia (la sincérité : ce parler vrai) étrangère au paraître. Se tenir résolument loin de « l’apparition qui, fatiguée d’apparaître, s’en tient à l’horizontale de l’apparence, piétine sur le palier de l’apparence, cette apparition (est) vouée à l’enlisement et à la futilisation, c’est-à-dire la disparition définitive dans les apparences » comme l’écrit Vladimir Jankélévitch.

Prétendre à la transfiguration du discours théorique, lui permettre d’ad-venir creusé et travaillé par ce qu’il découvre et qui découvre celui qui le tient, sans que celui-là perde l’aura dont il est peut-être le dépôt. Disparaître, en définitive, dans l’instant de la venue de l’écriture.

Si une revue est l’espace choral de voix distinctes et de regards pluriels... Si une revue n’a d’autre vocation que d’être un relai, un prolongement, un foyer de condensation de rencontres avec les œuvres de l’esprit et la pensée, ce nouveau numéro d’Incertains Regards, consacré à « La Disparition », s’est ouvert, plus qu’aucun des précédents, à la densité et à la diversité des écritures. Une variété qui, si nous devions interroger celle-là, semble correspondre à une phénoménalité darwinienne, un espace latent sensible où celui qui écrit, adapte l’écriture à la complexité de l’objet qu’il rencontre.

Adaptation qui n’est pas sans effet sur la formation du discours théorique, et qui ici, pour certains, relève moins de la disparition de la théorie que de mutations qui l’enrichissent au point de l’amener à figurer un geste d’écriture. Une écriture.

Celle de Didier-Georges Gabily qui, à travers les Fragments que nous confie Frédérique Duchêne, nous rappelle le geste mallarméen d’un « crayonné au théâtre ». Geste qui élève la critique à l’endroit du poétique. Moment où l’écriture est à pied d’œuvre. Geste poétique d’un disparu trop tôt qui, comme l’a écrit Valéry, ne sera jamais « hors de vue ».

Celle d’Arnaud Maïsetti qui, se saisissant du poème théâtral Shams d’Amira-Géhanne Khalfallah a n de lui donner la sonorité du plateau, prolonge cette histoire d’un geste dramaturgique et l’enveloppe de son regard d’écrivain.

« Au plus près des œuvres », c’est la « ligne de sorcière » d’Incertains Regards : son devenir en quelque sorte, et Gerald Sigmund s’est tenu à cet engagement qui, tout en l’amenant à théoriser le travail scénique d’artistes formés à l’université de Giessen, le conduit à livrer simultanément une intimité de spectateur. Certains diraient un « état ».

Intimité, oui, que l’on trouve encore dans le dialogue et le tête-à-tête de Louis Dieuzayde et François-Michel Pesenti où la notion d’emergence vient à augmenter celle d’apparition. Eux, parlant théâtre certes, mais parlant de l’au-delà qu’il induit lequel est parfois fait d’une violence radicale qui ré échit un enjeu vital, voire existentiel. Cet enjeu que Christophe Triau, lui, convoquant Grüber, Aillaud... déplace du côté du jeu dialectique entre « présence » et « absence », questionnant la visibilité dans le mouvement intrinséquement fusionnel de l’apparition et de la disparition.

Et parce que la revue Incertains Regards a aussi pour objet de ne jamais être étrangère à l’actualité, quatre des contributeurs livrent ici l’esquisse d’une pensée anthropologique sur la disparition. Disparition ou fragilisation de la fabrique du commun qu’induisaient a priori les œuvres entretenant le mythe du « mit sein » et qui, aujourd’hui semblent générer, auprès de quelqu’uns, des réactions vives et parfois brutales. Faisant écho aux articles qui ont précédé sur l’expérience esthétique, la critique de Marie Urban, jeune universitaire inscrite en doctorat et résidant à Berlin, souligne avec adresse le système d’analyse réactionnaire de Bernd Stegemann quant aux œuvres complexes telles qu’elles apparaissent aujourd’hui. Et cet article juste trouve des prolongements chez notre amie Nicole Colin qui, elle, introduisant la notion de Wissenstheater, interroge la scène contemporaine et ses nouveaux dispositifs qui ont rompu avec la tradition classique du jeu théâtral. Pensée chez Nicole Colin qui rappelle in ne que les arts vivants, soumis au mouvement de l’histoire, ne sont pas gés et nous ouvrent à une complexité qui, en même temps qu’elle constitue l’œuvre, a pour conséquence de réintroduire le « cours de l’expérience » pour le spectateur.

Gilles Suzanne et Yannick Butel, sans qu’ils aient convenu d’un dialogue, se répondent sur la place de l’œuvre et parfois sa disparition dans l’espace public. Le premier regardant à la loupe quelques-unes des œuvres au prisme des soubresauts qui agitent la Méditerranée s’invite dans le débat sur l’image, le pouvoir et les peurs qu’elle peut susciter, et donne à ré échir dans une conclusion suspensive sur le concept d’iconocratie. Le second s’inquiète lui de la disparition des espaces et de la négation de l’espace que forme l’œuvre. Manière d’interpeller le politique chez l’un comme chez l’autre.

Aux lecteurs, nous souhaitons peut-être simplement de lire ce nouveau numéro comme un apport et une participation aux paroles qui s’échangent dans l’espace public sur la place et la fonction de l’œuvre d’art. Une manière d’intervenir dans le débat des idées qui, alors que l’œuvre d’art n’en finit pas d’être au cœur d’échanges qui tendent à légiférer son effet, oublie de rappeler la singularité de la dimension esthétique.

Yannick Butel