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la parabole au fond des sables

mardi 14 août 2018

La mer est jeune, quel âge a-t-elle / Elle est ce mur horizontal / Où s’appuyer quand rien ne va / Et rien ne va plus trop souvent / Cette béquille infatigable / Qui n’en finit pas de jeter / Sa parabole au fond des sables / Dans le coeur mat d’un coquillage / On l’entend encore chanter

G. Perrons, Poèmes bleus, 1962

Miossec, Tonnerre

Il ne reste rien de l’orage d’avant-hier : la journée est d’abord passée sur la nuit, puis toute la nuit suivante et l’aube ce matin, et une partie du jour encore, et toutes les secondes et toutes les heures entassées par-dessus lui, rien, qu’un peu de ciel fracassé au lointain, et le rosier de l’école effondré : rien de l’orage, rien. Est-ce que l’infime a une chance en regard, nos luttes et les désirs, tout l’infime des corps, si l’orage devient ce ciel bleu, ce vent ? Dans les jours vides, on est le vent des orages : ce qui passe et fabrique l’oubli.

J’ai regardé l’orage avant-hier pour essayer de tirer des leçons : j’attendais les éclairs l’appareil photo tendue ; quand je le baissais, pensant c’est fini, un éclair s’effondrait devant moi, sur la ville ; je levais l’appareil, rien ne venait : je le baissais, l’éclair parfait, de la forme d’un éclair comme on en voit en rêve ou dans les livres : ainsi de suite.

Il y a eu ce moment où l’éclair a traversé le ciel de part en part, le parcourant à sa surface, frappant à l’horizontal de l’air : je ne savais pas que la foudre pouvait tomber aussi sur les nuages. Était-ce la leçon ? Et comment en nourrir les luttes et les colères ? Comment en faire une joie ? J’ai regardé.

Je ne sais pas s’il reste quelque chose du ciel après tout ce vent : la nuit, le réveil en sursaut. Il faudrait de la vie comme du vent au milieu du sommeil. Il faudrait les événements comme la pluie tombe en fracas, lourd de toute la hauteur du monde, et depuis dieu tombant, tombant, depuis le cadavre ruisselant de dieu tombant, et tombant encore : il faudrait des désirs comme cela, et du temps devant soi pour l’écrire pour dire combien rien n’égale la lourdeur de la pluie et sa légèreté, que le miracle de la pluie tient à cette mesure de la pesanteur de l’ensemble et de la légèreté infinie de chacune des gouttes : qu’il y a là, oui, leçon, pour nos jours de détresse et de honte.

Je lis le journal depuis trois jours avec assiduité, espérant trouver le monde, ne rencontrant que ce qui l’interrompt sans cesse.

Peut-être faut-il être mer plutôt que ciel : peut-être que la mer est-elle ce qui suit le ciel, que le ciel se déverse dans la mer pour nous apprendre que toute l’eau est déjà tombée, et qu’une averse n’est qu’une répétition vaine de ce qui a déjà eu lieu, que nous sommes au monde comme devant l’averse : comme l’averse elle-même, sûr de renverser la réalité de toute la foudroyante joie déversée sur toutes choses : goutte, on ne tombera que dans la mer déjà pleine.

Mais nous persistons à nous croire ciel ; nous ne sommes au mieux que vent, et peut-être pas même : souffle qu’une feuille arrête et avale : et on regarde frémir le feuillage en disant : le vent est tombé.

Nous sommes moins que vent, et souffle : peut-être que nous sommes simple rosier fracassé au pied de l’école.

Dans le ciel d’hier, il ne restait de l’orage que cela : moi face à tout ce qui s’est achevé, cherchant ce qui recommencerait.


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