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La Ville écrite | les contre-phrases

les slogans déjoués

lundi 15 février 2021

On avait bien réduit les épopées à d’immenses romans. Et peu à peu, et avec moins d’art mais plus d’ingéniosité, ces pensées maintenues fermement entre quelques feuillets in-quatro, tenaient également dans la main, voire dans la poche. Alors, il n’en fallait pas davantage pour les plier soigneusement afin qu’ils tiennent aussi dans quelques phrases : pas même des phrases.

Les slogans ont ceci de vrai qu’ils s’achèvent sitôt commencés. Leur aspect foudroyant les consume sur place. La fumée semble même précéder le jaillissement du feu. La pensée meurt avant d’avoir pris corps.

La ville était évidemment le dépôt parfait pour les slogans qui disaient tout et son contraire, parfois en même temps et d’un même mouvement. La ville se confondait même avec la forme du slogan, dans son aspect le plus utilitaire : les publicitaires chantaient sa gloire, la nommaient elle et son usage, qui n’était pas seulement d’être un support, mais cette force capable d’en déduire le sens.

On ne sait pas quand. Sont apparus d’autres choses, d’autres slogans : ce n’était pas des slogans. Les phrases qui avaient surgi ici ou là, rares et peu à peu plus nombreuses, proliférantes, déjouaient la tâche servile du slogan. Par des déplacements aussi insidieux qu’énigmatiques, elles n’agissaient pas dans l’instant, mais au contraire : par rétraction du sens et résonance. Leur temps relevait de la durée, voire d’un commencement placé au-devant de nous : pour l’entendre, il fallait intérieurement faire le chemin vers elles.

La ville peu à peu recomposait les slogans dans cet envers-là. Les phrases par contagion prenaient corps sur les murs, se donnaient naissance : elles racontaient ce que disaient les épopées, mais sans les corps, sans les buts, sans les moyens. Elles disaient seulement la folie de dire et de nommer ce qui autour vibrait encore, un peu. La ville se laissait recouvrir de ces slogans renversés qui rejouaient la geste des formes anciennes.

Oui, les phrases rendaient stérile le roman, l’idée de roman, et la possibilité même d’en composer semblait indécente en regard.

On n’avait plus le mot poésie pour les dire, mais le mot de slogan ne pouvait plus servir. On se contentait de lire. Et parfois même d’écrire.