arnaud maïsetti | carnets

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hors l’oubli

mardi 16 juin 2009

Ce qu’il me reste en tête, des vers lus et relus tout la journée, c’est toujours l’effort impossible de les dire : l’impossibilité de les retenir. Je pense à cela aujourd’hui passé à relire Aragon, et combien chaque vers porte en lui d’innombrables ; Les Yeux d’Elsa comme somme poétique, oui, anthologie de toute la lyrique courtoise du passé et sans doute du futur. Et peut-être que toute poésie est cela, mémoire de tout ce qui la précède, archives vivantes. Peut-être que toute lecture est cela encore : lire le palimpseste du réel écrit en toutes lettres, et du réel qu’on imagine par la littérature qui en porte la charge.

Alors, tels vers que je lis et qui fait revenir avec eux, je le sais, le souvenir de tant d’autres, et Ronsard comme Rotrou, ou Hugo, Verlaine et même Bossuet, je le crois ; mais impossible littéralement de les reconnaître en tant que tels. Je lis plutôt toujours le fantôme toujours plus séparé de moi d’un vers possible que j’aurais pu lire ; que j’aurais sans doute dû lire.
Comme à chaque fois, impossibilité de retenir les vers (et je sais bien que dans le passé, les étudiants les moins doués possédaient une somme de texte en mémoire prodigieuse - je sais bien que cette mémoire me manque, comme un membre amputé qui gratte) - l’impossibilité physique de retenir au sens propre toute cette matière vivante et glissante en moi.

Quand j’écris, ce n’est toujours que pour les retrouver, avais-je pensé une fois, pour me chercher des excuses, une raison d’espérer. Et pourquoi pas. Et dans la douleur de cette impossibilité je fonde des lignes toujours vides de ce qu’elles appellent, dans le désir de rejoindre un phrasé (ou une image (ou un rythme)) que je ne saurais retrouver que dans l’absence, l’oubli toujours recommencé d’un oubli sans objet, puisque je sais bien ce que j’oublie, mais j’ignore ce qui s’oublie avec lui.

« “Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous les bouquets.” »

Mallarmé

Dans la terre devant moi dressé comme des sillons penchés vers le vide, ce que j’arpente en tous sens, c’est moins la réécriture de ces vers, que le dehors de l’oubli, sans contour et sans forme, musique sans mélodie et presque sans note d’un bouquet où manqueraient les fleurs, mais persisteraient leurs parfums tenaces et douloureux.