arnaud maïsetti | carnets

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derrière la cloison

samedi 24 avril 2010

Il est minuit vingt-et-une et comme je veux noter le jour passé (ou traversé), j’entends derrière la cloison les sanglots de la voisine, du voisin ; comment reconnaître un sanglot d’un autre.

Duras dit quelque part qu’il n’y a rien de plus bouleversant : entendre quelqu’un pleurer sans savoir la cause ; et rester de l’autre côté de cette paroi ; solitude terrifiante de l’autre éprouvée par soi : solitude de soi pour l’autre.

De part et d’autre de la journée précisément, j’ai le sentiment que cette cloison ne m’a pas protégé mais exposé — écrire tout le jour sur quelques lignes, travailler en avançant (et impression d’avoir en une seule journée plus avancée qu’en un mois) avec la musique autour de moi ; et toujours, sentiment de culpabilité : si c’était trop fort ? Quand la musique s’arrête entre deux pistes, c’est là qu’on l’entend : et sa violence peut-être. Mais sans elle, je suis désarmé, impossible de l’éteindre, de la baisser.

Alors que je me pose le soir — silence en moi et autour, musique retombée et j’en ai le vertige — c’est le sanglot qui traverse les cloisons, qui dure. Peut-être a-t-elle pleuré tout le jour ; peut-être que ce sanglot n’est qu’un rire nerveux, plus appuyé. Peut-être que ce sanglot n’est qu’une petite crise de larmes sans conséquences, bientôt oubliée.

D’ailleurs, il cesse.

Cri de chien dans la rue.

Puis rien, vraiment.
Que le bruit de l’ordinateur qui souffle.

Alors je reste là, enveloppé dans ce silence plus que de raison, et je me sens "fouetter à travers les eaux clapotantes et les boissons répandues, rouler sur l’aboi des dogues" — au loin ; au près ; rien ne vient, aucun son — la journée échouée sur moi comme une vague gigantesque à dix mètres de la rive, lourde de larmes, de promesses, de menaces et qui finit par se rompre pour se casser en filet d’eau sans écume, transparente, noyée dans son immobilité.

Derrière la porte, non : plus rien.

Dans la rue non plus — en moi, pas davantage.

Demain, le jour m’attend. Le réveil est mis : dans sept heures, je me lève — je passerai la journée sur la route ; minuit trente-huit : j’ai déjà oublié le bruit heurté de ces pleurs et j’en reste inconsolable.