arnaud maïsetti | carnets

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à l’aveugle

mardi 1er juin 2010



So Blind (The Ladybug Transistor, "Can’t Wait Another Day" (2007)

So blind, so blind, so blind, i pray

That maybe for a little while you won’t stray.

Il est entré dans le métro et on s’est tous levé dans la rame pour lui laisser notre place ; il préfère rester debout, le dit tranquillement — mais c’est comme de force qu’on l’assoit, devant moi. Il accepte, avec le même sourire, voilé, passé. Il ne porte pas de lunettes et on voit à travers ses yeux blancs une sorte d’impassibilité sereine, inaccessible ; un masque d’acteur grec.

Il est en face de moi — et durant tout le trajet, c’est malgré moi que je l’observerai manipuler toutes sortes d’objets dont je serais incapable de me servir, et qui semble lui indiquer tout à la fois l’heure, l’endroit où il est, où il va, les informations du monde, l’esprit ouvert sur tout ce qui l’entoure. Tactile, sonore, vibrant : sous ses doigts afflue une réalité de sens qui m’échappe et qui éclaire par moments son visage, ou l’éteint.

Il se lève un peu avant l’arrivée du métro à sa station — peut-être avec l’habitude, il a reconnu tel cahot, tel mouvement de terrain, tel ralentissement — et il sort, en évitant soigneusement chacun. Il est immense. Quand il descend, il s’arrête d’abord : s’oriente, sans doute. Et puis, lorsque le métro redémarre, je le vois qui s’engouffre dans un couloir en tâtonnant, comme en équilibre autour du gouffre de lumière tout autour de lui.

Le métro sort du souterrain et passe au-dessus du fleuve en traînant derrière lui toute sa lumière morte.