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devant quoi on s’avance

mardi 4 août 2009

(...) On avance, on est de l’autre côté du pas et on recommence à basculer sur le pivot du même corps. Ce qui suit, on ne l’envisage pas : derrière est toujours ce que le pas repousse à plus tard, bien plus tard comme pour un autre que soi, un autre qui aurait oublié tout de cette présence à soi et à la marche : ce qui viendra après ne nous concerne pas ; possible, l’heure suivante n’est pas affaire de vivant. On voudrait s’en tenir là : mais ce n’est pas d’oubli ou d’absence qu’on est fait, seulement de fatigue et de poids ce matin.

On est simplement, ce matin, contemporain de cette fatigue, on est notre propre poids : et ce matin, on n’y suffit pas. On écarte avec une même force les relents du passé, les possibilités de l’avenir.

On est sans histoire. Ou : on est toujours dans ce qui vient après l’histoire et qui n’est qu’une durée, jamais un déroulement ; pris dans cette densité, on dresse dans le présent un corps qui n’est pas encore fait pour le monde, qui n’est plus celui qui l’habite.

On n’est pas sans mémoire, mais cette mémoire est si bruissante qu’elle parle seule et pour elle-même ses propres leçons, ses lois codifiées pour d’autres. On n’est pas sans illusion, mais toutes nos utopies sont d’emprunts, traversées par toutes les expériences salies par tous les échecs, tous les compromis qui ont donné naissance au réel.

On n’est pas sans colère, mais les mêmes mots servent à nos ennemis, et ces ennemies diffèrent de si peu des autres que les mots même finissent par se retourner contre tous, dressent l’écran de fumée qu’on lacère de coups de couteau inoffensifs qui ne font que l’épaissir.

On avance.

Et ce devant quoi on avance est inconnu de soi, mais au bord des routes, les cairns sont là, à chaque mètre. (...)