arnaud maïsetti | carnets

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nouvelles du jusant

mercredi 10 novembre 2010



Riptide (Laura Veirs, ’Carbon Glacier’, 2004)


Ors sui, et ordoiez doit aler en ordure :
Ordement ai ouvré, ce set cil qui or dure
Et qui toz jors durra : s’en aurai la mort dure.
Maufez, com m’avez mors de mauvese morsure !

Rutebeuf, Le Miracle de Théophile


Aussi loin du bord que du large, sans aucune proximité avec rien, ainsi exsangue de mer jusqu’à cette soif et du bord et du large, contradictoire et permanente ; les bouées autour flottent sur la boue, cette vase humide et enfoncée de toute part sous son propre poids — ni sur terre, ni au large, cet espace désolé des marées basses, cet espace d’orgueil et de supplice du jusant. Bastille ce soir où je note vite ces lignes est plein de lumière sous la pluie qui efface tout cela. Les bateaux accrochés à rien dans la mémoire attendent quelque chose qui est déjà passé. Rue Lappe à gauche, la soif toujours.

Il n’y aurait maintenant pour moi, comme secours, que de la musique baroque, les chants de l’Astrée, ou Rutebeuf (je ne peux pas reculer plus loin, Catulle est devenu illisible, mon latin est trop oublié), que cela, et encore — oui, me faut quelque chose de lointain, qui sera plus neuf que tout : à l’endroit où je me suis retrouvé, ici et maintenant, ne sais encore qui de l’appel du large ou de la terre l’emportera. Mais à la pointe du jusant, il arrivera bien un jour prochain, imminent peut-être, que le couteau tranche : quand il tranchera, que ce soit l’artère, le sang répandu de quelques nuits, ou la corde : je en sais pas : peu importe. Nager au-dessus de vingt mètres de profondeur ou danser dans la vase — que ce soit ceci ou cela, peu importe : mais ensuite rejoindre.