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La Ville écrite | désastres de Monet

lundi 16 mai 2011

Il n’y aurait alors plus de place ni sur les livres ni sur les murs pour qu’on s’en prenne ainsi aux voitures. Dans l’élan, la voiture a sans doute dû se trouver là en juste place pour intercepter le geste d’écrire. Un mot, lui, ne suffisait pas — il fallait tout recouvrir. Jusqu’à ce que le mot lui-même soit recouvert par ses propres inscriptions. Je me souviens (je l’ai déjà dit) de la grande émotion que j’avais eue devant les toiles de Monet, les dernières Nymphéas. L’émotion, c’était sur certaines, la blancheur de la toile laissée à nue sur le pourtour, et comme le blanc venait manger la couleur ; ou comme la couleur naissait du centre d’un blanc pas encore recouvert : impression que la toile continuait à se faire, à se répandre sur du blanc qui lutterait pied à pied contre la couleur. J’en ai été si bouleversé qu’aujourd’hui je doute un peu de ce que j’ai vu — quand j’en parle autour de moi à des plus savants que moi sur la question (il en faut peu), je n’obtiens pas de réponse sur ces toiles : ont-elles existé ailleurs que dans mon désir ? Moi, j’avais trouvé quelque chose qui disait la possibilité de la peinture dans ce qui la niait : oui, la peinture pouvait être précisément (et surtout) là dans son espace vide. Devant une page écrite, ce qui permet que le mot soit visible, ce sont les espaces nées du mot même, en lequel le vide se constitue en parole. Blancheur du désastre : espaces qu’on dit fines. Devant les lettres griffées sur la voiture jusqu’à ne rien laisser d’elle, jusqu’à la recouvrir dans sa totalité (et c’est cela qui me bouleverse alors au contraire, face à la voiture), il n’y a rien à voir, rien à lire : la voiture même n’existe qu’en ruines. Et le mot, éparpillé, dissolu sous lui de la même manière que son support. Alors, je sais. Oui, je suis sûr que si j’ai rêvé les toiles de Monet, du moins ce rêve a-t-il en moi sa nécessité, son langage, sa violence incompréhensible.


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