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des restes de silence dont on ne sait que faire

jeudi 11 août 2011


Like Home (Syd Matters, La question humaine (BO), 2007)

back home / like houses / like homes / like leaving / like shoes / like running

« Dans le bas de la mémoire, le ciel. Des restes.
Des restes de lumière dont on ne sait que faire. »

Henri Michaux (Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions)


Garder le silence (comme le berger son troupeau, dit la Bible, quelque part, où je l’invente) – longtemps en soi, garder pour soi le silence, et même ne rien en dire, garder contre soi le silence pour, ensuite, le relâcher soudain, qu’il n’en reste rien, qu’un peu de peaux mortes qu’il suffira de mordre et cracher pour oublier.

C’était cela : d’abord, le silence imposé, éloignement, loin de l’écran, la terre, la mer, la pluie sur toutes choses, l’autre rythme du temps quand le travail cesse. Et puis, au retour, insensiblement, laisser le silence là où il est. Et c’est comme une discipline à l’envers : comme je m’étais imposé d’écrire ici tous les jours ou presque, s’imposer de ne plus écrire ici, tous les jours, ou presque. Ce n’était pas un silence muet – ils savent, ceux qui s’imposent des jours de silence, que ça parle en soi bien plus, et ce qui fait silence, c’est le dehors du monde soudain coupé, ou retranché, aux possibilités de soi.

Et puis – inévitable. Plus le temps du silence dure, plus le silence occupe la place, impose une sorte d’évidence pleine d’elle-même. Le premier mot qui viendrait pourrait alors rompre non seulement le silence, mais la parole même, et toute parole. Un jour suivant l’autre, après le temps passé sans écrire, vient celui du temps passant à l’écouter se taire en soi. Ne rien écrire, seulement attendre que le silence soit suffisamment fort pour le briser, briser en lui sa menace.

Comme on s’éveille, dans la nuit, que le noir de la chambre suffit à éblouir, il faudrait dire : ainsi le silence est passé sur moi et m’a arrêté, mais c’est plein de ce silence que je viens parler et dire ce qui demeure : les bavardages du monde passent, eux, dans le bruit ininterrompu, des crachats sales échangés de bouche en bouche. Il n’y a que sur des lèvres, intactes, que résiste l’essentiel. La langue devient étrangère, vraiment : comme on imagine une langue étrangère (crier). Et ce que je perçois, à l’écrire de nouveau, c’est comme elle est cette résistance même : « on est là où l’on ne peut être sans disparaître ». C’est cela.

Et si je me tiens à l’embrasure de cette porte, je sais bien que c’est parce que ces pages (écrire) ont pour elles ce statut de silence et de paroles qui résistent au silence : « le solitaire sera éclaboussé par tous ». C’est cela aussi. Dans le silence, on entend les paroles, mais dans les paroles, que retient-on du silence. Si j’écris, c’est pour briser et l’un et l’autre. Ce qu’il reste ? Peut-être des éclats d’un corps que je n’ai pas fini de peupler, une maison que je ne cesserai jamais d’habiter, de fuir.