arnaud maïsetti | carnets

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de peur

jeudi 13 octobre 2011

se pencher

de peur d’être comme je suis seulement, et pas autre, et d’être à la fois précisément comme les autres parce que mon désir les rejoint, voudrait les rejoindre, voudrait rejoindre en eux le désir d’être autre, c’est cela, de peur d’être ici, quand c’est ailleurs, bien sûr, que le désir se déporte ; de toute cette peur-là constitué que j’amasse comme dans le creux des mains un peu de sable qui se renversera sous les doigts le temps d’arriver jusqu’à la mer pour le répandre, de toute cette peur je suis comme père, et frère, et veuf, d’un manque qui manque encore pour pouvoir dire : la blessure est là (je sens la blessure, mais où, par où le sang, où) ;

j’ai cette peur : en moi ; de n’être que moi ; d’être là où les autres me rejoignent quand c’est ailleurs ; à force de répéter la peur, le désir de la conjurer, je dispose de tellement peu de mots, le désir d’en conjurer le désir en moi qui viendrait dans ma bouche dire les autres seulement, répéter les autres seulement, et rien d’autre, et que seul en moi parlera le silence, qu’un silence entier de moi qui constituerait, je le sais : oui : toute cette peur, je l’ai, et en réserve d’autres peurs encore, comme de tomber, dans le vertige lui-même : tomber : de peur d’être happé, d’être comme on est quand dans le rêve fauché par le vide, au lieu d’être du vide qui s’agrandit dans le ventre, au lieu précis d’accroissement de ce vide, où le cri dans la bouche devient respiration muette comme ô la forme d’un visage quand il n’est qu’une bouche arrêtée, interrompue ainsi au milieu de la route et que les voitures, de peur que, et reprendre la route, soudain : et comment y faire face —

oui, c’est cela, de peur, quand dans le visage on ne voit que cette chute, dans le désir, on pourrait se pencher pour mordre les lèvres, c’est la chute qu’on voit, on se penche malgré tout, parce que c’est la peur seule qui me fait dire que j’ai peur et qu’en cela je lui suis pour toujours reconnaissante, et que le mot avancé devant moi éclaire un peu les murs autour qui disent, la peur n’a pas sa place, ce qui a lieu ici n’est qu’un pas après l’autre le chemin qui entraîne, quelque part comme de la mer, en pleine ville, un orgueil devenu simple pudeur d’être, c’est possible, il suffit de se pencher, écarter les cheveux comme un rideau de théâtre, battre les trois coups dans le cœur, et de mordre, d’aller encore, d’aller non plus chercher la blessure, mais les endroits où elle est encore vive en dehors de moi, peut-être là, partout ailleurs, oui