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pourquoi vous prenez les voitures en photos

vendredi 31 août 2012


— Pourquoi vous prenez les voitures en photo ?

— je ne prends pas les voitures en photo, je prends ces feuilles-là, sur le trottoir,

— C’est pas ce que j’ai vu. J’ai bien vu, de l’autre côté du trottoir, sous l’abri bus où j’essayais dormir, que vous preniez des photos des voitures : pourquoi, pourquoi ?

— non, vous vous trompez, madame, regardez,

— c’est ce que vous dites. Moi, en Loire-Atlantique, j’ai jamais vu ça, quelqu’un qui prend en photo les voitures, pourquoi ?

— non, non vous vous trompez : c’est de loin j’ai vu ces feuilles-là, depuis le coin de la rue, dispersées : voyez ; c’est parce qu’elles formaient ce chemin triste, et c’est parce qu’elles conduisent jusqu’à ma porte, qui est juste là, où est la dernière feuille ; des feuilles d’école la veille de la rentrée (je crois que c’est la veille de la rentrée, je ne sais pas vraiment, je crois, d’ailleurs, il a plu aujourd’hui pour la première fois depuis des mois), je crois que c’est une fille, je me suis penché sur l’écriture pour la voir, il y a des schémas, des calculs, sans doute très savants, un secret peut-être, comment savoir, avec la pluie, et les pas de ceux qui passent sans les voir, oh, comment ne pas les voir,

— mais pourquoi vous prenez en photos les voitures, vraiment pourquoi ?

— ce sont les feuilles, madame, parce que je suis sorti ce soir, il fait tard, dans le froid, la fatigue plus grande que moi, que je voulais trouver quelque chose qui m’aurait dit : c’est par là que la vie passe en toi, et je n’ai rien trouvé, mais juste à dix mètres de la porte, car c’est là mon immeuble madame, j’ai trouvé ces feuilles, j’ai reconnu l’écriture et j’ai regardé longuement les schémas, j’ai pris les photos pour qu’un soir je puisse écrire que je n’ai pas renoncé à voir les chemins, pour qu’en les regardant je me dise non, je n’ai pas inventé ce chemin de feuilles répandues dans le noir pour que je puisse le voir, et le suivre, et m’envelopper de lui, et qu’un autre soir comme celui-là, je puisse le prendre aussi ; mais je vais remonter, ce soir, le travail m’attend, il n’attendra pas plus longtemps, et je vous souhaite une belle nuit, madame,

— pourquoi vous me dites pas pourquoi vous prenez les voitures en photo ?