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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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volets tirés
vendredi 4 septembre 2009
On reste un instant sans mouvement, attendre que cela passe, la douleur et la phrase qui l’emportera. On se trompe ; la phrase (qui dans le rêve nous a sorti du rêve) appuie de tout son poids pour accentuer la douleur encore, on laisse faire. On finira par l’écrire — et toutes les autres qu’elle tire après elle.
On sait bien qu’on ne se rendormira plus. Dans le noir qu’on n’apprivoise pas encore, la nuit, pour tout le reste de la nuit, est terminée.Les murs de la conscience fermés, volets tirés sur toute lucidité : la main écrit devant soi les mots que le poignet dessine, et ce à quoi on assiste, c’est moins la mise au clair de la pensée, que la trace qui efface peu à peu la pensée, qui repousse la parole jusqu’où la peur, la douleur et le corps vont parfois dans le souvenir.
Quand on se redresse au petit matin, sur la page, ce n’est pas écrire, et passé de l’autre côté des heures, ce n’est pas d’avoir écrit ou d’avoir raconté : c’est tout le récit d’un mur autour duquel on aurait construit trois autres murs — et dans l’espace patiemment élevé, on l’aurait habité un peu, et quitté avec le jour.
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quand on fait silence en soi trop longtemps
mardi 1er septembre 2009
Chaleur par nappes ici, par effluves, ou par vagues, les images sont comme le vent, elles viennent sans cesse, sans effort : et recommencent. La chaleur recommence, oui — c’est une autre image de la ville.
Une semaine loin d’ici, sans écran ou presque — alors quand je reviens, cet écran comme une pièce laissée un peu en l’état, les fenêtres fermées, l’odeur un peu tenace d’un endroit clos et délaissé : cet écran comme en rêve on oublie son nom.
La chaleur retombe en grand bruit d’orage sans eau le soir, et le matin, on voit sur le sol des flaques sèches - on n’a pas entendu la pluie. Le ciel est plus clair encore que la veille, nettoyé ; mais il fait encore plus chaud, et ça n’a servi à rien.
Quand j’ouvre ici la pièce, que je me pose devant l’écran, les mots qui tombent, je ne sais pas depuis quel hauteur ils arrivent (mais écrire plus de pages en deux heures ce matin, que la semaine précédent le départ : c’est un fait) — si comme en physique la chute dépend de la hauteur, et l’intensité de l’énergie et de la vitesse avec laquelle s’effondrent les corps : je ne sais pas.
Quand on fait silence en soi trop longtemps, il arrive des orages sans pluie qui rendent la ville visible par moments : dans la nuit sale et moite d’été, la lumière la plus intense est aussi la plus courte.
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de la plus haute tour
vendredi 21 août 2009
De la plus haute tour, on se tiendrait au-dessus du vent : on ne verrait de son ombre qu’une petite tache de sueur enfoncée dans le sol ; on serait là en bonne place pour le regret — de là, le sol paraît si loin et le ciel possible : la chute si désirable qu’il suffit de se pencher pour voir son corps tomber.
Oisive jeunesse
A tout asservie,De la plus haute tour où je suis (chaque ville fait une place dans ses périphéries un peu honteuses à la plus haute tour : je ne mets jamais longtemps à la trouver), d’où je crache sur mon ombre tant que je peux pour conjurer la chute, je ne vois rien de la plaine au-loin, rien de la ville : qu’une étendue de terre aussi semblable qu’une autre étendue de terre — sur elle dansent un peu les ombres qui se lassent vite et s’effacent ; dans la nuit, on perd son ombre au pied de la tour : elle paraît aussi grande que l’ombre effacée de la tour, celle de la ville. Ce qu’on perd avec son ombre dans la nuit, c’est la mesure de la chute : dix mètres, cent mètres, c’est le même gouffre noir qu’on interroge.
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.De la plus haute tour désormais (c’est le seul le lieu où le regret se dit, où désormais est possible : le seul lieu détaché des lieux ; il n’y a de la place que pour un seul homme, une solitude érigée en espace de veille, d’où la ville est trop basse pour être veillée), ce à quoi je rêve : les distances abolies, les crevasses sans bord, les chutes qu’on ferait au fond de soi, le sol qui s’éloignerait dans la chute, le sol qui s’effacerait à mesure que les yeux ouverts dans la vitesse on approcherait de son ombre sans jamais l’atteindre.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent. -
dans la chaleur
mercredi 19 août 2009
Les murs se rapprochent à mesure qu’on avance dans la ville : ce n’est pas une image, c’est ce qu’on éprouve quand, dans la chaleur, on essaie d’atteindre son coeur.
Les battements réguliers irriguent tout le corps, on se sent tomber — on se trompe ; c’est le corps qui tombe sur lui-même. Qu’on appelle ça marcher, c’est le mystère : mais enfin, ça fonctionne pour le moment.
Quand on fait silence, c’est toujours elle qu’on entend : la ville et dans la chaleur, les roulements souples de la machine : une rue, une voiture, une affiche qui hurle, les volets fermés qui se ferment encore sur la façade plus fermée que le poing. On fait silence et c’est la ville qui parle dans notre gorge.
On avance, on appelle ça continuer.
On l’écrit en retour, on est soi-même le battement et soi-même le cri produit par le battement ; aux tempes, ce qui bat, c’est un autre pouls que le sien. Et ce qui s’écroule sur la page, c’est la chute de la ville sur elle-même. Quand on cherche à rejoindre ce mouvement, on appelle ça écrire.
À la fin, le nom qu’on lui trouvera, à la ville, on l’attribuera au texte ; les murs fermés ouvriront une porte qu’on fermera derrière soi : et quoi devant ensuite ?
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injonction
lundi 17 août 2009
Dans la secousse du réveil, ces mots viennent seuls, l’injonction : état des lieux du réel prend toute la place ; et avec le silence qui suit, la forme brute et folle que cela prend : dans la ville, aller vérifier que chaque chose est à sa place.
On se dresse au milieu du bruissement sourd que le rêve traîne après sa fin, on est seul avec lui un moment. On attend. On ne sait pas ce qu’on attend — on est là, dans l’abrutissement vague et sans contour d’un réveil aussi banal qu’un autre : c’est le jour suivant, on est le lendemain d’hier, c’est aussi simple que cela ; c’est un autre jour. On est là.
On n’est pas même quelqu’un qui attend — plutôt un corps, vague et sans contour dans l’aube noir, qui est là. Et dans la tête, les mots viennent seuls, frappent à la porte et reviennent, s’imposent : ils disent état des lieux du réel, et ça ressemble à un ordre.
Alors, on se met à cette tache, écrire — rêver à la suite du rêve, la forme que ça pourrait prendre : ce récit qui serait "un état des lieux du réel", et qu’en faisant le tour de la ville, on en produirait l’impact sur soi, l’énergie suffisante pour combler l’absence du vide. Quand on aura fini, est-ce qu’on aura achevé le rêve, ou seulement initié ce vers quoi il appelait et qui commencerait là ?
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occupation des morts
vendredi 14 août 2009
Les morts sont trop occupés à se changer en pierre pour penser aux vivants et croire encore en eux.
Ils se sont un jour trouvés une place, au milieu de nos villes, où depuis, patiemment, ils travaillent à se rendre plus solide encore que les murs qui nous entourent.
Certains trouvent la formule, déchiffrent les secrets — et quand on finit par ne voir en eux que des bancs publics, c’est alors qu’ils l’emportent définitivement sur la poussière et la cendre, sur la chair et sur le vent.
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le sens de l’orientation
mercredi 12 août 2009
Pistes ouvertes à droite, à gauche ; chemins de traverse qui obliquent vers l’ouest, repartent, coupent, manquent la direction : reviennent. Au carrefour, on fait le point, étale les cartes, pose les boussoles — on ne peut savoir où on va que si on sait où on est.
On se perd moins par manque de direction que par la multiplications des orientations offertes qui finissent fatalement par se confondre.
Alors, une route après l’autre, littéralement et dans tous les sens, jusqu’à se perdre : jusqu’à perdre l’idée même de sens, de direction — et continuer.
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menaçant
dimanche 9 août 2009
MENACE (me-na-s’) s. f.
1° Parole ou geste dont on se sert pour faire craindre à quelqu’un le mal qu’on lui prépare. Les menaces ne m’ont jamais fait mal ; et ce sont des nuées qui passent bien loin sur nos têtes, MOL. Fourb. de Scapin, III, 9. La terrible menace du ciel irrité, lorsqu’il sembla si longtemps vouloir frapper ce Dauphin même, notre plus chère espérance, BOSSUET, Mar.-Thér.
2° La menace d’une chose, l’action de menacer quelqu’un de cette chose.
3° Fig. Il se dit, dans le langage élevé ou poétique, des choses qui semblent menacer.
Ce qu’on ignore, à force de scruter le ciel, l’avenir et les dangers, c’est ce qui sous le pied tremble et tombe, trombes d’eau intérieures qui se déversent et ne coulent pas, mais se répandent, se répandent, comme un lac sur des terres déjà gorgées — ce qu’on sait, de certitude inexprimable, c’est le ciel fendu de soi qui délivre, torrents de mots avant de se changer sur le sol du papier, en boues mêlées de branches et de pierres.
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labyrinthe
samedi 8 août 2009
(...) Alors, on se laisse perdre dans les rues fermées de la ville : enfant, on nous apprenait — c’était simple — pour sortir du labyrinthe, il suffisait de poser la main contre la paroi, celle de droite ou celle de gauche, peu importe, et d’aller en la suivant, elle nous conduirait fatalement au bout : on pouvait marcher les yeux fermés dans le labyrinthe, pas besoin de fil ou de miettes de pain, la paroi froide contre la main, les doigts frôlant à bout touchant la pierre, et le chemin démesurément allongé, les détours qui n’en finissaient pas, mais qui étaient le chemin le plus sûr vers la sortie : c’était simple.
Dans cette ville on revenait toujours au point de départ ; on ne quittait jamais l’endroit où l’on était : sous le pas, toujours le même sol, toujours le même toit de ciel qui se déplaçait plus lentement que nous et qui donnait cette impression de sur-place : et quand on se retourne, les ombres des autres nous devancent, toujours et en tout lieu, c’est ainsi — les parois des villes n’ont pas d’aspérité, on les touche mais elles se rétractent, elles se ferment sur les ongles, elles se changent et parfois s’ouvrent en deux, laissent voir d’autres couloirs qu’il faut reprendre pour trouver la sortie (c’est la règle, la seule : il faut toucher la paroi jusqu’au bout pour parcourir dans sa totalité l’ensemble du périmètre intérieur du labyrinthe).
On réalise peu à peu que la géographie de la ville est celle que tracent derrière nous les pas – qu’elle ne préexiste à rien, à nulle autre chose que nous marchant au-devant d’elle et l’articulant à des parois toujours nouvelles : on se rend compte que la forme de la ville suit la marche dans laquelle on se perd ; on ne se perd pas dans la ville, mais dans cette marche qui lui donne une direction, un sens toujours renouvelé à chaque pas, reformulé à chaque pas contre le pas précédent — nouvelle ville à chaque fois : le monde n’est pas disposé autour de nous, c’est le geste qui dispose du monde autour de soi à chaque mouvement ; leçon de la ville qui ne nous donne aucune clé, qui nous enfonce en elle plus profondément jusqu’à ce qu’elle devienne la fatigue qu’en marchant on a fabriqué avec les parois de la ville changées peu à peu en couloirs. On marche au-devant d’elle, c’est tout. On marche dans la fatigue qu’on construit à chaque pas, et on dessine ce labyrinthe qu’on nommera plus loin ville, ou décombres. (...)
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je courrais sauvage _
Mahigan Lepagevendredi 7 août 2009
Et je courrais sauvage sur le béton des villes, cherchant comme un fou un peu de terre nue, mais que partout le béton de vos citernes recouvre, et foulerais ce béton à m’en écorcher les paumes, des mains sur les murs et des pieds sur le sol, filant des trajectoires à vous impossibles, écorchant aux surfaces des lambeaux de chair, comme des plaies saignantes la ville est à vous, à chaque foulée un peu moins de mon corps, comme une peau la ville je porte trop de vous, mais j’irais inarrêtable comme un cheval fou, galopant sans fers sur le béton cassant, et riant à vos citernes déversant coulées, comme encore aux éclats de vos murs troués, votre propre folie dans ma course folle, et que les avions plongent aux horizons dentés, et que les bateaux se noient dans vos fleuves verts, les arbres pauvres n’en peuvent plus de tenir, les machines fumantes aux carrefours explosent, ma nudité comme le sol recouverte, le dos en plaques aux murs les plus rêches, les paumes saignantes et le visage osseux, je courrais sauvage sur le béton des villes.
Mahigan Lepage
Sous l’incitation de Jérôme Denis (de Scriptopolis) et François Bon (de Tiers livre), le premier vendredi du mois est l’occasion d’un Grand Dérangement : idée d’écrire chez un blog ami, non pas pour lui, mais dans l’espace qui lui est propre ; vases communicants. Autre manière, comme l’écrit Scriptopolis, d’établir les liens qui ne soient pas seulement des directions pointant vers, mais de véritables textes émergeant depuis.
Pour le Grand Dérangement #2, Mahigan Lepage occupe l’espace ici, et ce jour, je suis chez lui.Et d’autres vases communicants ce mois :

Pierre Ménard (Liminaire) et Michel Brosseau (À chat perché) 
Clara (takuhertz) et Antony Poireaudeau (futiles et graves) 
Loïs de Murphy (Biffures Chroniques) et Frédérique Martin (Carnet d’écriture)
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