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Townes Van Zandt & The Be Good Tanyas | Waitin’ around to die

jeudi 3 août 2017

Townes Van Zandt n’aura existé que pour être inconnu : dans la longue file de silhouettes invisibles qu’aura formée la folk song des années 1960, il est l’une des ombres, l’une des voix oubliées, ou presque. Dans le film magnifique des frères Cohen, Inside Llewyn Davis, on traversait la vie de Dave Von Ronk qui fut peut-être de ces oubliés le plus connu. Mais Townes Van Zandt ? (fatalité des noms sublimes et imprononçables des chanteurs folk oubliés).

C’est à cause de la drogue ou de sa voix, ou du hasard plus sûrement, ou parce que la folk a été emportée par ceux qui l’inventaient contre elle ? Townes Van Zandt aura chanté toute sa vie (jusqu’à la mort, le 1er janvier 1997, à Nashville Tennesse, évidemment) pour une poignée d’hommes qui lui étaient tous acquis. Il n’a écrit que des standards : c’est l’autre fatalité de ces destins. Ces chansons qu’ils créent semblent, oui, avoir été écrites depuis toujours, portées par des voix anonymes du fond des terres nouvellement découvertes. C’est la folk.

Et c’est Townes Van Zandt.

Son nom, je l’avais croisé dans ce documentaire fascinant de James Szalapski, de 1976 : Heartworn Higways . Le sous-titre de ce documentaire vaut mieux que tous les résumés : The best music and the best whiskey come from the same part of the country. [1]

Et je rencontre de nouveau ce nom alors que j’écoute par hasard une de ses reprises par The Be Good Tanyas : Waitin’ around to die est un programme de vie pour un chanteur oublié et une manière de conjurer l’oubli en le transmettant.

The Be Good Tanyas est un jeune groupe de Vancouver : trois canadiennes chantent la folk du grand ouest. Et dans la voix oubliée de Townes Van Zandt, elles chantent les mots de la mort traversée, recommencée, conjurée.

Les paroles disent toute une vie comme toujours, en quelques mots levés comme des images : la route et la solitude, l’amour perdu, évidemment, et la douleur évidemment, la codéine et la poussière et le ciel sans espoir, et l’espoir aussi au fond de ce désespoir, la fatigue d’être nés dans une terre trop grande pour soi, dans un monde qu’on oublie peu à peu comme son nom et qu’il faut chanter, encore : et faire partie de l’oubli. Plus facile que de simplement attendre de mourir dans le coin.

Sometimes I don’t know where / This dirty road is taking me / Sometimes I don’t even know the reason why / I guess I keep a-gamblin’ / Lots of booze and lots of ramblin’ / It’s easier than just waitin’ around to die

One time, friends, I had a ma / I even had a pa / He beat her with a belt once ’cause she cried / She told him to take care of me / Headed down to Tennessee / It’s easier than just waitin’ around to die

I came of age and I found a girl / In a Tuscaloosa bar / She cleaned me out and hit in on the sly / I tried to kill the pain, bought some wine / And hopped a train / Seemed easier than just waitin’ around to die

A friend said he knew / Where some easy money was / We robbed a man, and brother did we fly / The posse caught up with me / And drug me back to Muskogee / It’s two long years I’ve been waitin’ around to die

Now I’m out of prison / I got me a friend at last / He don’t drink or steal or cheat or lie / His name’s Codine / He’s the nicest thing I’ve seen /Together we’re gonna wait around and die / Together we’re gonna wait around and die

Si la folk m’est si essentielle, ce n’est pas par reconnaissance : je ne sais rien de ce monde, de cette terre qu’ils chantent, de ses légendes d’ouest, et n’en retire ni regret ni désir de la comprendre de l’intérieur. Je n’appartiendrai jamais à cette communauté d’esprit et d’origine. Mais la joie de se mêler à l’anonyme d’une histoire passée pour l’inventer aujourd’hui, cette douleur même d’être arraché, ce sentiment de la solitude dans l’époque : et la litanie de l’oubli, oui. Et la beauté de simplement poser la voix sur deux mêmes accords puisque tous les autres ont été accomplis : oui.

La chanson de Townes Van Zandt ne lui appartient pas. Elle est la rumeur de ces jours perdus, et elle est la forme de l’oubli dans lequel il s’est confondu jusqu’à chanter lentement des chansons qu’on connaît sans rien savoir d’elle que la perte et l’insistante beauté.


[1Et je découvre aujourd’hui une belle série de François Gorin, datée de 2013, sur le chanteur : épisode 1 : il aurait pu être un roi du pétrole ; épisode 2 : la fameuse miss carousel tourbillone ; épisode 3 : Un songwriter ne meurt jamais ; épisode 4 : Flamber à petit feu ; épisode 5 : Trompe la mort à Austin