arnaud maïsetti | carnets

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Uto | Touch the Lock

si la musique existe

samedi 17 septembre 2022


Si la musique existe, c’est pour le vide qu’elle crée dans le vide [1], ou au contraire, pour s’imposer comme seul ce qui est, ou ce qui reste : c’est pourquoi elle se fonde sur ce qui revient, répond, résiste à sa propre fin, tourne autour de quelques images qui pourraient être des notes, des mots (des sons de cloches qui ouvrent en grand le corps intérieur : (souvent parfois)), et soudain il n’y a plus que cela, cela qui semble la seule matérialité possible et vivante, la forme que prend la vie quand la vie cède : la musique. Elle voudrait se confondre avec elle-même, et prend l’allure d’une répétition, mais non, rien ne se répète jamais, tout se déplace parce qu’elle produit le temps, qu’elle déplace le temps avec elle : ritournelle, comme d’enfant, chaque mot devient un autre, trois petits chats, chapeaux de paille (délaisse, déverse, décharge-toi) : si la musique existe, c’est pour fabriquer du temps, et c’est parfois un miracle quand le langage ici s’engendre de lui-même, que la voix est un instrument et que l’instrument est une voix (métallique ou mélodieuse, comme si tout était frappé sur quelques métalophones incendiaires). Que chaque chanson tisse le voile, trame la toile, file et non pas droit, mais en cercles concentriques pour cerner les vertiges d‘un rêve qui rend si peu désirable la réalité n’est pas la moindre des choses : c’est ce qui sauve. (Il y a ce moment, quand la chanteuse prend sa respiration, ici ou là : on sait bien à quoi elle la prend). Quand on veut se souvenir d’un rêve, on ne sait pas le dire, alors : cette musique (Lock Myself Inside The Dream). Quand souffler dans l’harmonica ne suffit plus pour sortir de soi. Quand il faut aller dans la pluie, au travail ou je ne sais où qui ne veut rien dire, on voudrait être vengé : on écoute par exemple Full Presence et on est soudain revêtu de l’idée du sacré, et de la peine plus grande encore que le sacré qui est l’évidence que le sacré ne peut plus exister que dans son regret et l’émotion qui nous lie à la perte du sacré. Que la musique possède encore ce savoir — celui de danser autour de ce grand trou noir qu’est cette réalité abjecte —, et tout ce qui nous entoure est justifié. Terreur, douceur : tout mêlé, ou confondu : il est vrai que la beauté commence comme la terreur, à peine supportable : et qu’elle finit comme l’envers de la terreur, beauté qui l’aurait traversée et brandirait sa vieille peau de terreur morte pleine de sang, de joie. Quand vient Elisa, on sait que tout va finir : et tout finit vraiment ; la preuve, il faut recommencer. Si la musique existe, c’est malgré tout — on s’y accroche alors comme à sa vie quand elle s’échappe.


[1« Fantastiquement vide on ne sait pas comme une ville peut / Être vide / Et sans paroles Je n’aurais / Jamais cru Paris capable de cela / Capable de ce jour / Ce jour que je t’avais perdue. »
Aragon, Les Chambres