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enfant de la forme vide

[20•09•2022]

mardi 20 septembre 2022


« C’est cela sans doute qui écrit, l’enfant de la forme vide, agitée par une illusion dévoilée. Lorsque rien ne se propose plus pour habiter l’image, il y a l’écriture. C’est sa place. »

Jane Sautière, Corps flottants

J’apprends l’expression brésilienne Mão na Luva — peut-être est-ce parce qu’elle est intraduisible qu’elle paraît si juste, ou est-ce parce qu’elle dit ce qu’est la justesse dans le mouvement même de son évidence et qu’à l’expliquer on est si empesé de nous et du monde, que tout trébuche, et la justesse n’est pas seulement manquée, elle semble d’autant plus insaisissable — Mão na Luva dit le mouvement de la main dans un gant et dit aussi combien, quand le gant est à bonne taille, c’est la main plutôt qui semble y convenir, que tout trouve place et douceur ; quelques mots chuchotés pour le dire, et, à peine, pour esquisser entre les lèvres le sens du monde lorsqu’il s’accorde à nos désirs et qu’il n’est pas un film, mais le monde ; puis, rien ne dit que ce gant soit de laine et pour protéger du froid, peut-être sert-il à frapper le premier venu, on ne saura pas.

La douleur dans la nuque témoigne moins de la fatigue du corps que du temps passé penché sur quelques pictogrammes incompréhensibles qui tissent mes jours ces jours (et pas seulement Heiner Müller, et pas seulement des tableaux à remplir, et pas seulement mes propres morts [1] lancés au hasard, mais des idéogrammes qu’on pourrait dire arrachés à Babylone elle-même, quand le premier jour on l’a dressée sur le sable d’Irak qui ne s’appelait que Babylone.)

Cette chaleur qui s’estompe me rappellera pour toujours quand, enfant, il fallait aller à l’école, malgré tout, et qu’on regardait s’évanouir autour de soi les fragments d’un été qui s’accrochait aux branches, et qu’on oubliait déjà — on ignorait pourtant les formes qu’il prendrait pour rester, longtemps après, et qu’on s’en souviendrait non pas seulement en le regrettant, mais avec des pensées cruelles pour l’enfant qu’on n’aura décidément jamais su être.


[1je laisse la faute de frappe