arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > ce qui fait brèche dans le cours réglé du désastre

ce qui fait brèche dans le cours réglé du désastre

vendredi 21 avril 2017


Si tu marchais sur une plaine, tu aurais la bonne volonté d’avancer et pourtant tu ferais des pas en arrière, ce serait une situation désespérée ; mais comme tu grimpes sur une pente raide, aussi raide que toi-même vu d’en bas, les pas en arrière ne peuvent avoir été causés que par la disposition du sol, et tu ne dois pas désespérer.

Kafka, Aphorisme de Zurau (traduction de Fabien Rothey)


Radiohead, Present Tense (’Session CR78, 2016)

Il faudrait renoncer aux miracles qui font de nous des croyants, et pire encore, des chasseurs d’espérance, des hommes qui attendent et moins que cela, des hommes dans l’attente que quelque chose passe, du temps, des averses, de la solitude brisée comme du verre. Sur la route que je prends chaque jour, l’arbre mort est fidèle à sa mort : il dresse sublimement sa mort d’arbre mort, résolument, farouchement, tenace dans sa volonté d’être plus que jamais mort jusqu’aux terminaisons de lui-même. Et puis, hier, ces quelques lancées vertes dans le néant.

« Politique est ce qui surgit, ce qui fait événement, ce qui fait brèche dans le cours réglé du désastre ».

Le miracle vient toujours comme une violence dans l’ordre du monde, dans l’ordre même des miracles qu’il prolonge pourtant, et qui doit rester seul pour demeurer miracle : un miracle qui se reproduit est une loi, et une loi est le contraire du miracle. L’arbre sur la route, je le regarde avec tendresse et pitié dans le chaos incertain de nos jours. Dimanche, ce sera jour de vote, d’une dépossession qui commence par vouloir nous convoquer au lieu même de notre liberté. L’arbre est-il libre de pousser sur lui-même ? Libre du ciel ? Et de la ville qui autour continue d’être ce qui le brise ?

« L’espoir, voilà au moins une maladie dont cette civilisation ne nous aura pas infectés »

Rien n’aura lieu ce dimanche, on le sait bien, sinon ce jour qui aura voulu justifier l’attente paralysante de dimanche – quand dimanche aura lieu, l’attente prendra fin, et ce qui commencera sera sans doute le contraire de ce qu’ils auraient voulu, un soulagement. Il n’y a rien à en attendre, sinon d’agir sur dimanche comme en chaque jour, insister en soi ce qu’on n’ose plus nommer la vie, tant l’usage qu’on en fait liquide en nous tout désir ; sinon le désir, tant rien ne pourrait en épuiser la charge, l’évidence.

« Il n’y a plus nulle part de place pour l’innocence en ce monde. Nous n’avons que de choix entre deux crimes : celui d’y participer et celui de le déserter afin de l’abattre »

Dimanche, il ne sera pas question d’espoir ou d’attente. Simplement d’être parmi d’autres dans le refus d’être complice ou victime, de n’être pas dupes ni incrédules, ni crédules ni dévots, seulement là avec la pensée que quoi qu’il arrive (il n’arrivera rien) – puisque tout commencera, comme chaque jour.