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solstice perdu et spectres nouveaux

vendredi 23 juin 2017

Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l’épaisse et éternelle fumée de charbon, — notre ombre des bois, notre nuit d’été ! — des Erinnyes nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, — la Mort sans pleurs,

Rimb.


Bachar Mar-Khalifé, Ya Ballad ("Ya Balad", 2017)

À 6h28, le 21 juin, les premières lueurs : pour quelques minutes, je manque le solstice, qui a déchiré le ciel à 6h24 – à quoi tient une vie ? Je tends les bras, tâche de prendre la lumière qui vient, c’est trop tard : tant pis ; et pour quoi ? C’était il y a deux jours : le temps passe comme de la vie perdue. Je lis ce matin les propos du ministre de l’Intérieur qui vient à Calais dire combien sa seule préoccupation est de "contenir les réfugiés avant qu’ils arrivent dans les Alpes". C’était il y a une heure. Je regarde de nouveau la lumière sur moi, dans les arbres peut-être : quel rapport ? La lumière déchire à chaque instant chaque instant.

J’écoute Bachar Mar-Khalifé en tâchant de me fabriquer des souvenirs du présent.

Habiter la ville, c’est la quitter, la retrouver : ici, en tous cas. À quoi tient une ville ? On est loin. On est toujours loin de ce qui bat. Dans le lointain, on finit par rejoindre. L’été commence, dit-on. Je lis ce matin dans les journaux qu’il fait chaud. Les nouvelles vont lentement.

Hier, Friche Belle de Mai (et tout à l’heure encore) : la lumière en partant, comme elle tombait déjà. Est-ce qu’à Stonehenge aussi, on avait le regret de la lumière juste après sa venue ? Comme le regret des départs ?

Le jour a duré seize heures et deux minutes (je l’ai lu hier, je m’en souviens), ce vingt-et-un juin : mais c’est fini, maintenant, il commence sa lente rétraction sur lui-même, jusqu’au vingt et un décembre où il tiendra dans une main d’enfant.

Se relire est une douleur, hier jusqu’à une heure du matin : plongé dans les épreuves, une ligne après l’autre pour les accepter. Il faudrait savoir écrire une fois pour toute, sans se relire : ce que je fais ici, sans rien reprendre, sans ajouter ou retrancher, seulement jeter comme on crache, comme on mord et désire.

En Nouvelle-Zélande, le jour a duré neuf heure et des poussières : le reste, de la nuit de la nuit de la nuit peut-être, ou du soir. Un long soir perdu dans le jour suivant. Là-bas, le jour recommence, lui.

Je rêve d’autres soirs. Ce matin, réveil brutal, crampe, jambe raide soudain, et le rêve s’est engouffré dans la douleur, l’oubli, la peine du jour à venir.

Histoire de mes solstices à travers les titres inventées pour lui résister : 2016 (solstices des vies passées, à venir), 2015 (vingt et un juin : il fera peut-être nuit, 2014 (morsure du jour et cette douceur d’ancêtres vivants), 2013 (rien), 2012, encore, 2011 (et le reste), 2010 (le dernier jour de l’année : blasphèmes), 2009 (marche) : je commence à disposer les années comme des oublis.

Tous les solstices que j’ai vécus, ces jours longs comme la vie, je les confondrai un jour dans une seule nuit : il faudra bien choisir laquelle.