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Lieu | le texte escalier #5

vendredi 10 mars 2017

Atelier d’écriture proposé par François Bon sur le Tiers Livre– Cycle d’hiver sur le lieu.

— Présentation du cycle
— Première proposition : lieu point-virgule lieu
— Deuxième proposition : un mouvement, mais sans verbe
— Troisième proposition : à chacun sa rue Vilin
— Quatrième proposition : Bergougnioux lieu public

Cinquième proposition : « On ne pense pas assez aux escaliers ». Retour à Perec, et au labyrinthe inépuisable d’Espèce d’espace, cette image de l’escalier – qui n’est pas une image, plutôt un imaginaire et une énigme. Beauté des escaliers (la mairie de Bordeaux ne se visite pas, mais son escalier, si : il est magnifique, d’une pièce et de mille mouvements). Force tranquille des escaliers, qui vont, et descendent autant qu’ils montent. Pas un escalier identique, et pourtant, on est sûr d’être devant un escalier, quand devant un escalier, on est, et qu’on va. Soit donc cette image : l’escalier. Et bien sûr, comme toujours avec cet atelier du lieu, on n’en reste pas là. Le levier cette fois, qui inquiète et appelle, c’est le continu. Avec Jean-Paul Goux, plongée dans le continu, sa lancée. Je sais la dette que je dois à Goux, et à François qui me l’a mis entre les mains (on est plusieurs à avoir lu Goux grâce à lui). Proposition au carré : le texte escalier, qui va, ne cesse pas, demeure sans origine dite ni son destination précise, seulement vecteur. Et belle idée de François de déposer ensuite les textes de notre atelier collectif à la suite des autres : un texte escalier formé de textes escaliers. J’avais autrefois longtemps tourné autour d’un texte escalier, souvenir d’un récit de Kafka (chez Kafka, l’histoire d’un type qui un jour se lève de son lit, soudain est happé par l’escalier et tombe jusque dans le fleuve) : je tâchais d’écrire chaque marche et les pensées liées jusque dans la ville elle-même escalier. Mais on ne revient pas deux fois sur le même texte, surtout sur ceux qui ont été avorté (presque trois cent pages, quand même, caché malgré tout dans un coin mort de mon site). Non, pour cette fois, désir de revenir à un souvenir précis de ma chambre d’étudiant à Paris, dans un immeuble en lambeau du Sentier. Un été, plusieurs incendies dans des immeubles semblables avaient terrifié. J’avais toujours une pensée pour le feu quand je prenais cet escalier. Cette pensée revient, tranquille et douce, et tout aussi terrible que lointaine. Image : l’escalier de ma rue Beauregard, février 2007, dix ans tout juste ou presque.


c’est l’odeur de brûlé d’abord, dès le premier pas sur la première marche, qui monte – pas une odeur ancienne, mais à venir, pas une odeur réelle, mais possible, envisageable, fatale même : dans cette cage d’escalier (le mot est lui-même une terreur : cage où on vous enferme, et les mains crispées sur les barreaux, tu cries pendant que le feu monte), l’incendie est toujours possible, à cause des poubelles entassées là, à cause de l’appel d’air – immeuble creusé au centre par le ciel, et tout autour, les appartements minuscules, ma chambre au second que je ne rejoins jamais sans penser au feu qui pourrait prendre un soir, une nuit, un matin, et me piégera : mais le soir, le matin, je monte ou descends l’escalier pour rejoindre la chambre ou ma ville, ou peut-être pour cette raison-là, celle du feu auquel j’échappe miraculeusement chaque jour, et à chaque marche j’emporte l’image avec moi, je suis moi-même le feu qui monte à chaque étage une marche après l’autre et qui s’éteint avec moi et qui meurt et qui demain, ce soir, ou ce matin de nouveau prendra et anéantira tout de l’immeuble de la ville et de ce monde entier réduit en cendres froides pour la contemplation des insectes de proie