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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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Jrnl | Personne ne le disait
[24•03•23]
vendredi 24 mars 2023
« … c’est fini ! Vis, vis… »
Mais comment vivre… ? Personne ne le disait.Evgueni Grichkovets, Comment j’ai mangé du chien
C’est vrai que nous sommes toujours la veille de — à la veille de —, toujours, et de cela nous sommes inconsolables, impatients, soulagés, inquiets, seuls : de cela nous sommes terriblement au milieu de ce qui n’aura ni fin ni commencement, et descendant la ville comme en pente douce déroulée devant moi, pendant que la pluie essayait en vain de tomber, j’essayais d’imaginer ce que serait une vie suspendue à son présent : et c’était impossible.
La mer sur le port n’est pas une mer, ni un fleuve, à peine de l’eau, une place publique étalée sans qu’on puisse marcher sur elle pour réclamer à l’état son abolition : et c’est tout à la fois sa tristesse et sa joie.
Regarder en boucle, presque par désœuvrement, et dans l’écœurement, ces images de manifestants frappés par les forces de l’ordre : une image après l’autre de brutalité, voir à quoi tient le pouvoir : toute la puissance des coups frappés comme des sourds, et seulement cette puissance aveugle.
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Jrnl | Un fil tendu dont la longueur était infinie
[20•03•23]
lundi 20 mars 2023
Je me sentais glisser comme sur un fil tendu dont la longueur était infinie
Gérard de Nerval, Aurélia Dehors le miracle — l’arbre ne faisait que le mort et il se donne désormais naissance ces jours : chaque année, le printemps fait toujours autant violence à l’organisation du monde, même si on ne sait pas qui est indifférent à quoi, les ruines au vent, ou le vent à la chute des pierre, les feuilles à l’absence d’avenir politique, et les motions de censure au bruit des vagues : sauf que le frottement des choses ensemble finissent par fabriquer ce murmure qui cerne comme autour de la dernière ville ceux qui continuent de s’aimer sous le déluge des flèches : chaque seconde la feuille pousse sur elle-même dans les cris des manifestants et le gaz lacrymogène.
Dedans, les rêves terribles : il faut marcher dans un désert, on est nu ; le sable forme de grands murs à gauche, à droite, et bientôt le plafond : on avance ; on s’enfonce ; le sable monte jusqu’à la poitrine, le menton, bientôt la bouche : tous ont été engloutis, j’avance encore, et puis : je ferme les yeux ; je plonge : quand je les ouvre, je suis au fond de cette mer de sable, des corps flottent autour de moi, inertes, et je cède ; je cherche à qui adresser une dernière pensée et pendant que je cherche, un bras m’arrache à la nasse — mais alors qu’il m’attire à l’air libre, j’hurle, je veux replonger de toutes mes forces pour trouver cette pensée.
Comme la corde soutient le pendu, dit le pendu, ce qui soutient le monde mort en rangs serrés dans les Assemblées dites de la représentation nationale — dans le vacarme de leur discours, est-ce qu’ils voient ce qui s’effondre, les raisons qu’ils nous donnent chaque jour de jeter ce monde dans le gouffre, ou sur le bas côté, ou le laisser simplement là, au milieu du chemin, ce monde qu’on enjamberait bien comme un animal crevé, une pierre pointue, une pomme de pin éclatée sur le sol.
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Jrnl | En sentinelle devant le vide
[18•03•23]
samedi 18 mars 2023
Le monde n’a pas de limites, lui dis-je, c’est sphère autour de quoi l’homme tourne et tourne éperdument. Aucune ténèbre ne se tient en sentinelle devant le vide.
Éric Vuillard, Tohu (2005)
Ces aplats posés sur la mer face à la Joliette n’auront duré que le temps de désirer les voir davantage, et c’était fini : on n’était que cela dans cette histoire, et saisir le monde dans la boite crânienne de l’appareil ne fait toujours qu’accroitre l’écart qui s’est installé depuis des millénaires entre nous et tout ce qui dehors passe, s’étale, s’éloigne, et qu’on nomme cela la réalité ne réduit en rien sa tâche occulte de puissance réalisant là-bas son œuvre de démon, incompréhensible et totale, et qui revêt parfois ces formes ocres et splendides, comme un feu qui s’éteint, un orage qui pourrait éclater et ne le fera jamais — et il fallait ensuite aller au théâtre.
Du spectacle, ne rien retenir d’ailleurs que ce moment où l’acteur brûle un papier, le jette en l’air, et le fait disparaître — peut-être qu’un spectacle ne se justifie que malgré lui par ses images étranges qui sont comme une clé qui n’ouvrirait que des portes à venir, et je suis sorti avec cette image ; immédiatement, j’avais tout oublié du reste.
De nouveau : l’espace est capricieux — la barre espace de la machine regimbe, rend le geste de la frappe plus lourd, moins fluide, je dois sans cesse revenir et perds la phrase ; est-ce d’avoir trop frappé comme un sourd sur la touche : est-ce une poussière dans le rouage, est-ce une punition des dieux (je me livre à toutes les hypothèses) — tout cela date un passé (hier) où je pouvais, gloire des temps anciens, me fondre dans la parole muette en prolongement de mon corps, mais tout est perdu — jusqu’à ce que la poussière daigne sortir et me redonne mon corps et ma parole : nous sommes peu de choses.
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Jrnl | Silences traversés des Mondes
[15•03•23]
mercredi 15 mars 2023
Silences traversés des Mondes et des Anges
Rimb., Voyelles
Ce qu’on perd du monde, chaque jour, tient à cet instant : le soir qui tombe sur nous tous sans exception, et la possibilité que cet instant soit autre s’efface, s’oublie déjà — on le mesure à chaque pas, le sentiment qui vient quand on remonte la manifestation et que les cris parviennent toujours à distance, en retard, en avance sur le cortège suivant, on le mesure mais on ne le saisit pas, toute cette foi terrible qui se soulève comme la mer, et qui va retomber comme elle, sur elle-même — jusqu’à ce qu’elle déferle, et elle va déferler ; mais nous sommes le soir et il nous arrive comme une nouvelle qu’on pressentait, et qui n’est qu’une promesse, toujours et seulement une promesse — mais de quoi ?
Toute la beauté et le sang versé (c’est le titre du film, je le lis comme pour conjurer le regret de ne pouvoir le voir, maintenant, tout de suite au moment où je le découvre, qu’il terrasse le regret, comme toujours avec mes regrets si facilement terrassés et dont les cadavres me restent entre les bras, lourds et sanglants.)
Il ne perd rien pour attendre, ce monde qui se réalise peu à peu et davantage contre nous autres, il y avait sur les murs des mots de rage qui appelaient à la vengeance, et cette fois, sans désir d’en rire ou pour s’en tenir quitte, non, cette fois pour écrire les mots et comme pour donner date : rien pour attendre.
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Jrnl | Puisqu’il est trop tard
[14•03•23]
mardi 14 mars 2023
Agissons maintenant, puisqu’il est trop tard Extinction Rebellion, Slogan
La bête la plus sauvage que j’ai jamais croisée est sans doute un insecte (je ne parle pas du cri du coyote qui se trouvait peut-être de l’autre côté de la forêt, ou dans un autre monde) — quand on ne peut pas nommer ce qu’on voit, on bascule vraiment dans la terreur à laquelle répond le besoin de destruction, pour d’un coup de talon anéantir toute vie, être soi-même l’envers de dieu : c’est cela qu’inspire l’innommable ou le monstre — même de la taille d’un ongle —, et ensuite regarder lentement le sang sur soi sécher déjà, devenir cette matière inutile, pas différente de mon propre sang, du sang du premier homme déchiré par la première bête sauvage venue.
Dans les trajets entre Marseille et Aix, ce n’est que récemment que j’ai compris que ce bâtiment entr’aperçu dans cette légère courbe en pente niché sous la plaine entre les villes était le centre pénitentiaire de Luynes : la nuit, les lumières dessinent les contours d’un vaisseau perdu dans les champs ; maintenant, je sais, et je ne manque jamais plus ce regard à gauche quand je monte vers Aix, ou à droite quand je redescends à Marseille : ce regard vers les murs d’enceinte, les corps invisibles, les paroles là-bas qui se disent et se perdent, le temps qui passe, et ne passe pas.
Je lis que le sud du Québec a perdu en janvier « une semaine de soleil comparativement à d’habitude » : : dans le grand mouvement circulaire que la lumière fait tourner, est-ce que cette semaine va revenir, et sous quelle forme, ou est-elle perdue corps et âme, et biens ; est-ce que cette semaine a eu lieu ailleurs, mais où : et pendant ce temps, « l’hiver fut gris et ombrageux », déplore le journaliste, et je rêve devant ce mot d’ombrageux qui ne peut désigner pour nous autres de ce côté de la grande flaque, que le sentiment d’un animal craintif, qui redoute son ombre ou tout ce qu’il ne connaît pas.
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Jrnl | Exactement son prix
[12•03•23]
dimanche 12 mars 2023
MARTHE. — Est-ce que chaque chose vaut exactement son prix ?
THOMAS POLLOCK NAGEOIRE. — Jamais.Paul Claudel, L’Échange
Dans la caverne, on aurait beau eu me dire que ce ne sont que des ombres, ombres d’ombres de marionnettes agitées derrière, et que la réalité idéelle est à la surface, j’aurais sans doute, oui, cru toutes ces paroles affreuses et lumineuses, mais j’aurais continué de regarder à la surface des crevasses le dessin que faisait l’ombre qui jouait avec la mienne, n’étais-je pas libre de rêver aux rencontres des ombres et de la pierre, et si j’avais pu poser la main à la surface, n’aurais-je pas senti sur ma peau le contact de l’ombre comme celui d’avec la vie même ; dehors, les amis qui voyaient éblouis la réalité des choses à s’en brûler les yeux ne faisaient face qu’à la confusion de la vérité avec elle-même où rien ne pouvait jouer, où tout s’éclairait d’évidence — loin de la caverne, j’aurais, je le sais, regretté les ombres ; d’ailleurs j’y pense encore et quand je regarde le soleil en face jusqu’à l’aveuglement, et je regrette : alors je pose ma main en pensée sur tout ce qui s’est perdu.
Une définition possible de la beauté : qu’elle est inépuisable ; tandis que les eaux se tarissent, que les glaciers deviennent cette boue opaque et qu’on perd le sens des larmes et du sang, cette définition lapidaire et bancale m’est aussi essentielle que le sable à la mer.
« Arbre dioïque (me dit l’encyclopédie qui ne se trompe jamais), toxique drageonnant à l’écorce soutenue se fissurant avec les ans — les jeunes rameaux sont pubescents par la suite glabre et couverts de lenticelles roussâtres », mais ai-je besoin de savoir que ces branches nues seront bientôt couvertes d’un « feuillage dressé et compact à la cime irrégulière arrondie », que sa sève a servi des millénaires au pied de l’Himalaya à enduire harnais et armes, et qu’on suppose que cette laque — qui donne le nom à l’arbuste — remplissait aussi les creux du décor des bronzes rituels : non, vraiment, les arbres sont comme les êtres : on les aime sans raison, et même : pour rien.
« Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien ?
Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin -
Jrnl | Le premier instant dure toujours
[04•03•23]
samedi 4 mars 2023
Voyez comme la lumière ici est criée.
Le premier instant dure toujours.
La lumière est le cri toujours visible du premier instant qui dure toujours.
Valère Novarina, L’Espace furieux
Si nous sommes toujours à la veille de, et au lendemain de ce qui, comment travailler au jour, et faire de ce jour autre chose qu’une pure conséquence, qu’une simple répétition — et maintenir pourtant fermement l’idée (pas seulement l’idée) des causalités choisies en dépit du bon sens, arracher à l’Histoire ses généalogies secrètes, ces filiations monstrueuses d’où être malgré tout issue et jeter au-devant les possibilités des forces qui sauront engendrer autre chose que de la fatalité résignée : c’était dans le froid de mars, ce qui restait des idées en lambeaux de la semaine ramassées comme on éponge le lait, comme on se ramasse soi-même au sortir d’un hiver qui n’aura causé aucun printemps.
Ainsi le premier instant durerait toujours, l’acteur le dirait avec tant d’inquiétude et de fragilité sous l’allure de la force que la phrase éclairerait indiscutablement le jour, et soudain, noir de plateau — le théâtre sait faire cela : la nuit brutale qui recouvre tout, devient l’espace où résonnent les voix, chambre d’échos (sauf qu’on verrait, à cour et jardin, flotter salement les lueurs verdâtres des issues de secours).
Derrière l’université, cet immeuble qui ne tenait depuis des mois que par d’immenses bras posés sur la façade : on l’aura vidé de l’intérieur, entrailles arrachées, il ne lui resterait plus que la peau, une membrane sans squelettes et sans viscères, parois du monde dressés pour donner le change ou faire comme si — mais le ciel passerait en lui, on verrait la lumière le traverser pour donner l’impression qu’il ne tenait debout que par la lumière, debout et presque digne, presque humble, presque.
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Jrnl | Qu’une vieille carcasse d’os
[03•02•23]
jeudi 2 mars 2023
L’incertaine vie de l’homme
De jour en jour se roule comme
Aux rives se roulent les flots :
Puis après notre heure dernière
Rien de nous ne reste en la bière
Qu’une vieille carcasse d’os.
Ronsard
On ne sait pas quel temps il fait, si c’est le plus profond de l’hiver ou si le sursaut revient — les cerisiers fleurissent pourtant, et pourtant le gel chaque matin sur les hauteurs ; Machiavel manque qui saurait dire avec le tranchant de la langue ce qu’il en est de ces jours, la claire vérité : c’est peut-être à ce manque aussi qu’on reconnaît les périodes historiques de plus grande désolation, qui désarment et pour lesquelles notre tranchant s’émousse qui voudrait frapper la langue de bois de l’époque, mais en est incapable : il y a la boue de Bakmout et le givre ici, et de part et d’autre, la même puissance d’illisibilité — et si je m’accroche de toutes mes forces aux glorieuses puissances du manichéisme pour lire le monde, le soleil se couche face à nous et sa lumière nous frappe plus précise et forte que la langue de Machiavel.
Heureusement, les allégories sont là, sauf qu’on ne sait pas de quoi elles sont l’allégorie : la voiture sur le boulevard National, par exemple, sa beauté de jeunes ruines, sa tristesse exposée, sa brutale évidence : son corps pas même décomposé et qu’aucune pourriture ne viendra féconder : je reste devant tout cela interdit comme devant la réponse donnée à une question perdue.
Il m’arrive de regarder les titres des livres comme si c’était des carcasses de voiture : pour rêver devant eux tout ce qu’il est impossible de rêver devant le monde ou dans nos rêves — par exemple, ce D’Os et de vent (Penser la baleine à la Renaissance : l’auteur y dit chercher à « saisir le lent basculement voyant la baleine quitter l’inconnu pour devenir un objet de connaissance et un motif littéraire. » — il ne dit pas que le regard sur la baleine sera destiné à devenir sujet d’étude, et qu’à son tour, ce sujet d’étude sera pour moi objet d’une mélancolie profonde quant à ce qu’il faut d’audace et de désœuvrement pour regarder ceux qui autrefois ont regardé la baleine s’éloigner pour mieux devenir ces signes jetés sur le papier capables de désigner dans leur regard ma propre mélancolie.
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Jrnl | Si vous êtes encore des pierres et des animaux
[27•02•23]
lundi 27 février 2023
Je ne puis que faire souvenir — et pas davantage ! Remuer des pierres, changer les animaux en hommes — est-ce cela que vous voulez de moi ? Hélas ! si vous êtes encore des pierres et des animaux, cherchez d’abord votre Orphée !
F. Nietzsche, Le Gai Savoir
Il ne reste rien de ce qu’on deviendra ; il a neigé sur l’Étoile — ce matin une couronne de givre dessinait sur l’horizon du massif une ligne plus appuyée de blancheur frottée contre le ciel, nous étions contraints de regarder pour une fois ce qui nous entourait ; du corset montagneux qui fabrique chaque jour l’appui sur quoi nous allons, du matin au soir dans la ville, se dégageait soudain le relief comme ces gargouilles des cathédrales aux gueules grandes ouvertes sur le ciel pour mieux mordre dans leur propre malédiction : Marseille n’était pas sous la neige, mais comme cernée par ce qui tout autour était tombé et ne l’atteignait pas : on s’enfonce dans le jour armés de ces images qui ne veulent rien dire, rien.
En rentrant, le souvenir du froid me prend : je l’avais oublié, il est là, mais posé sur une seule main : se peut-il que le corps ait tant oublié d’avoir froid pour que le froid ne m’atteigne que d’un côté ? Le temps que la pensée me traverse et le froid avait gagné l’autre main, le bras, les lèvres, le ventre, les entrailles.
Les rêves bizarres des nuits de demi-sommeil et de fièvres : plus précis, plus insistants aussi, plus terribles évidemment : et qui reviennent d’un demi-réveil l’autre sautant la veille pour continuer et se répandre encore et encore pour me laisser comme en demeure responsable d’eux : charge alors de leur donner forme, mais comment ?
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Jrnl | Comme monde dans ton regard
[11•02•23]
samedi 11 février 2023
Ce qui s’offre à nous dans la lumière de l’étoile, ce qui s’offre à nous, saisis-le comme monde dans ton regard, ne le prends pas à la légère.
Rainer Maria Rilke, Poèmes épars et fragments
Elle se coupe lentement au rasoir d’un geste tranquille au bas du genou gauche, puis l’autre — cinq traits verticaux d’où s’écouleront cinq lignes de sang sur quoi écrire ce qui lie au sol le corps blessé, jambes ruisselantes avant, d’un geste aussi calme, de tremper le pain dans la blessure et de l’avaler comme on prend des forces à ses plaies vives, et puis aller, pendant deux heures hurler les mots du désespoir : c’était jeudi sur une scène de théâtre ; au moment où elle trempe le pain, autour de moi plusieurs détournent les yeux ; beaucoup partent (ils ne partiront pas quand le désespoir pourtant tellement plus terrible sera hurlé) — je regarde, sûr que si le sang est vrai, et la douleur sans doute, le simulacre rend cette vérité à distance de la vie pour mieux la regarder de l’autre côté d’elle, qui n’est pas la mort ; je regarde, sachant bien que je suis moi aussi de l’autre côté de la vie et de la mort – au théâtre en somme.
Le froid de ces jours rend vif le sentiment de l’attente — des beaux jours, évidemment, et aussi d’un temps autre où il ne s’agirait plus d’éprouver le dehors comme cette agression : évoluer enfin sous le ciel comme s’il n’existait pas de frontière entre soi et le reste ; pourtant, je sais aussi que le froid existe pour cela : lever le désir d’un autre temps et armer son corps de cette vigilance de ne pas confondre sa peau et le reste.
La foule de mercredi soir : les hurlements hurlés enveloppant tout, le monde réduit à ce bruit de fond et d’éclat, la réalité elle-même condensée dans le cri que font des milliers de corps ensemble, le bruit dans les oreilles dans le silence de la chambre longtemps après que tout soit terminé : bruit et silence échangé dans ce noir comme cette poignée de main avant le départ par le train de nuit — ce qui reste de la foule éparse dans l’esplanade ensuite, ce qui reste de ces cris qu’on piétine dans la poussière, rien que ces cris en soi.