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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)
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« la lumière vient de ce qui se laisse détruire » (Supernova)
samedi 16 juin 2012
Du ciel ne nous parviennent que des nouvelles anciennes, déjà effacées, d’un monde éteint : et moi je marche à travers elles. Les lumières qui me permettent de voir et d’avancer dans la nuit noire d’un soir comme celui-là sont jetées par une étoile aujourd’hui morte, depuis des milliards d’années, morte et enterrée dans un noir plus grand encore que celui qui nous entoure. Appris il y a peu : en quoi une supernova nous est précieuse, parce que dans cette mort de l’étoile surgit une lumière telle qu’elle nous rend visible son existence, et donne trace de la vie, oui, c’est la preuve — elle meurt de la fournir ; non : elle meurt pour cela, je crois : je crois. Alors j’ouvre les yeux sur la vie, depuis cette mort là ; de cela aussi il faut en prendre mesure.
Une supernova est l’ensemble des phénomènes conséquents à l’explosion d’une étoile, qui s’accompagne d’une augmentation brève mais fantastiquement grande de sa luminosité. Vue depuis la Terre, une supernova apparait donc souvent comme une étoile nouvelle, alors qu’elle correspond en réalité à la disparition d’une étoile.
La mort d’une étoile dure moins d’un millième de seconde, mais après cette mort la lumière qui naît d’elle dure jusqu’à nous, des milliards d’années, et j’avance dans la rue près du boulevard de l’hôpital, je n’ai pas besoin de tendre les mains dans les couloirs de la ville, j’avance, je vois à dix mètres, le type là-bas qui m’attend pour me frapper peut-être, je peux voir son visage quand je passe à sa hauteur, et comme il a renoncé à me frapper, je le vois aussi : et qu’il s’endort dans le noir de ses yeux, je le vois encore à distance et longtemps après l’avoir croisé, et je l’aime ; la lumière a passé sur nous.
Les supernovas sont des évènements rares à l’échelle humaine : leur taux est estimé à environ une à trois par siècle dans notre Voie lactée. Les télescopes Hubble et Chandra ont photographié le reste de la supernova N49, située à 160 000 années-lumière, dans la galaxie du grand nuage de Magellan, le 1er juin 2010. Il est à noter qu’à notre époque aucune supernova n’a été observée dans notre galaxie, la Voie Lactée, depuis l’invention du télescope. La plus rapprochée observée depuis est SN 1987A, survenue dans une galaxie voisine.
Le deuil, c’est ne pas cesser de recevoir cette lumière depuis sa mort : c’est croire que la mort a eu lieu pour donner vie à tout ce qui l’a fait naître. Parce qu’on sait qu’elle ne finira pas, qu’elle viendra se confondre avec d’autres, la lumière qui commence de ces morts successives en nous est plus précieuse encore que l’espoir de la vie : elle est sa possibilité féroce, puisant plus loin que la vie, dans les souvenirs oubliés. Les morts s’occupent de tout cela : de nous laisser vivants, rien que vivants. Je pense : le passé n’a pas de temps à perdre avec nous — je pense : marche, voilà qui est bien. Tout le jour, accumuler de la lumière jusqu’au soir — et quand il faut la rendre, c’est de l’avoir bien épuisée. On peut mourir à cela aussi, est-ce qu’on dit plutôt de cela ? Il faut laisser la nuit faire le travail. C’est comme les vies passées : cet amour accumulé pour le laisser grandir encore au-devant de nous : et le passé continue, change avec soi, ne cesse pas d’avancer lui aussi : le passé n’est pas cette chose derrière soi qui a fini, mais ce qu’on porte tant qu’on dure ici la lumière de cette vie — et on l’amène jusqu’où on le pourra : un morceau de page, au bord d’un lit, dans les draps de sang bus jusqu’à ne plus rien désirer, et jusqu’au tombeau où on se relèvera, jamais seul.
La matière expulsée par une supernova s’étend dans l’espace, formant un type de nébuleuse appelé rémanent de supernova. La durée de vie de ce type de nébuleuse est relativement limitée, la matière étant éjectée à très grande vitesse (plusieurs milliers de kilomètres par seconde), le rémanent se dissipe relativement vite à l’échelle astronomique, en quelques centaines de milliers d’années. La nébuleuse de Gum ou les dentelles du Cygne sont des exemples de rémanents de supernova dans cet état très avancé de dilution dans le milieu interstellaire.
Du Bouchet : « la lumière vient de ce qui se laisse détruire » . Je rêve des dentelles du Cygne dont je suis issu, rémanence de ce désir éjaculé, puisque je suis une part de sa poussière jetée négligeamment de l’autre bout de l’univers pour me faire rêver à elle, et je m’endors ; je rêve à ceux qui rêvent de moi, les poussières que j’irai répandre quand je saurai viser. Oui, la lumière vient de ce qui se laisse détruire, et il faut accepter de s’éteindre inconsolable et dénué de foyer dans le froid pour à l’aube éparpillée, ouvrir les yeux sur nous. Le corps s’ouvrira lentement quand il le voudra, parce que la lumière l’aura rejointe, parce que la chaleur qu’il aura accumulé aura fait de son désir la force qui l’inaugure.
L’effacement soit ma manière de resplendir (Char). Non pas ma manière, mais le seul recours. Il y a des cheveux qui tombent de mes mains, le temps passe sur cela aussi — à la blancheur de certains, je reconnais ma vie future, elle est déjà passée. Et entre mes doigts, l’entrelacement de tous ce présent que je dépose pour m’alléger en route ; oh, il viendra sur le visage d’autres passés, d’autres désirs de m’inventer, d’effacer en moi jusqu’à mon corps.
Je rêve d’être une craie.
La nébuleuse du Crabe est un exemple de rémanent jeune : l’éclat de l’explosion qui lui a donné naissance a atteint la Terre, il y a moins de mille ans.
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ruissellements, soleils (sommeil aux cris de la foule)
dimanche 3 juin 2012
Dans le lit tard
Nous sommes là
Nous recommençons
ToutJ’ai du mal
À y croire
Je vois des bras
De merY. T.
Les premières gouttes de ciel tombent sur moi ce soir quand je rentre du soleil frappé si fort sur le visage et les yeux, que le sommeil en plein jour (cela ne m’arrive jamais) — comme si j’avais dû passer par le rêve pour continuer.
Mais je n’ai pas rêvé — juste déposer ma tête comme on se confie tout entier et sa peine et sa force à qui pourrait les consoler, et les accepter : s’y livrer tout entier, comme en soi-même — oh, les dernières pensées avant de dormir, les réflexes qu’on prend avant de plonger dans le sommeil ou les habitudes maniaques qui précèdent le geste d’écrire (c’est pareil).
Lumière chaude et crue qui tombe — les bruits de la foule autour. Quand je rentrerai, des heures plus tard, de fatigue pure, le crâne en étau, c’est sur moi de la pluie si fine, plus fine que ma chemise et que ma peau ; et le silence partout dans les rues noires qui me conduisent (on n’est toujours plus seul de rentrer). Oui, « Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris »
S’il faut chaque soir en finir avec le jour et mourir à lui (le mourir, lui mourir : la syntaxe nous fait tellement défaut), je veux bien, l’accepte comme j’ai accepté, enfant muet, le premier mot pour le dire (et dès lors je cessai d’être un enfant), comme je refuserai le dernier, plus tard (pour le redevenir peut-être) ; mais alors, les lendemains, au matin, parfois tard dans le matin, quel est ce poids en soi, quand il faut s’en laver : se laver de quoi, de tous les jours passés. Non, de ce qui doit s’oublier pour continuer. Ce qui demeure, de tout le jour, je le garde pour moi avec toute la tendresse, et davantage, qu’il exige, et j’en accepte même les larmes, comme j’ai accepté de marcher comme un enfant, le jour de mes un an, enfant ce jour où je ne l’étais sans doute déjà plus puisque je commençais à marcher, à sentir le monde sous moi comme un couloir que le pas fait reculer derrière moi.
Ce soir, j’ai bu un peu de pluie avant de rentrer. Elle n’avait pas de goût. « Que pierre et fer en tas dans un désert invraisemblable. » Et la terre autour de moi, trottoir couleur de cendre, que je piétinais, éparpillais d’un regard. On est incapable de début, alors de fin. Un journal dans mon sac — dit les nouvelles d’hier déjà, qui n’est pas terminé.
Je travaille encore, l’ordinateur allumé depuis une semaine, les mots clignotent. J’ai envie d’écrire des phrases comme : l’œuvre travaille à son visage, sculpte en lui des phrases qui pourraient donner forme de lui-même. J’efface, je recommence. Travaille à inventer un nom capable d’être à la mesure de cette vie. Je corrige : de la vie. Je reprendrai tout demain.
Mes cheveux tombent sur le clavier. Ils se mêlent à d’autres, s’emmêlent à tant de vies. Dehors la pluie ne tombe sur rien d’autre. Il y a l’image du soleil effondré sur moi seul au milieu de la foule, et je rêve, en plein jour, les yeux fermés d’épuisement, dans les cris. C’est une image juste — peut-être que je l’ai rêvée elle aussi, je ne me souviens que de m’être réveillé, et maintenant.
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images du jour passé devant moi (le phantasme du boucher)
jeudi 31 mai 2012
Jeté dans le jour, violence crue des rideaux ouverts qui me font office de réveil depuis quatre jours, et dans la tête qui me poursuivra tout le jour cette image du rêve immense de papillons lancés sur la voiture qu’il faut à tout prix contourner sous peine de, nos cris, et le jour donc, ce matin, la lumière sur les yeux et la fatigue, plus grande encore que l’image de papillons par milliers sur la vitre de la voiture, se lever, rapidement se lever pour affronter le jour et oublier l’image du rêve, tâche impossible, face au jour plus grand encore que la fatigue, douche froide, le geste machinal des départs, puis les départs, dehors, soleil juste entre les deux immeubles de ma rue, oh ma seule horloge fiable, passage à la librairie, les livres que je cherche ne sont pas là, évidente image de ma journée qui commence, je repars avec d’autres, Deguy, pour le deuil, Du Bouchet pour le regard, Michaux parce que, et métro, métro qui comme en travers de la gorge ne passe pas, l’attente du métro est ce qu’il me reste le plus du métro, les tags sur les banquettes, autant d’oracles vivants, et au bout du métro, la Seine, minuscule, ne pas trop se pencher, ne pas se pencher du tout, déjeuner vite, la chaleur toute là, le jour dans lequel s’engouffrer déjà sur sa pointe bascule sur ce trop plein d’étouffement qui finira par se rompre sans doute ce soir je le devine, l’orage, oui je le devine sur les lèvres de cette jeune fille derrière moi qui parle lentement du jour prochain, moi je passe, image évidente de ma journée qui passe, puis la Sorbonne, les longs couloirs de marbre, ce n’est pas du marbre, les hauts escaliers de pierre, est-ce que c’est seulement de la pierre, ma voix qui lance à ceux qui m’accompagnent tu sens le poids de l’histoire, moi, je me dis intérieurement, non je ne le sens pas, je pense aux bruits de mes pas dans la forêt encore, et l’odeur des mousses, je rentre dans la salle, les fenêtres fermées pour éviter le bruit, mais la chaleur insupportable, il faut choisir, on choisit le bruit, et on n’entendra qu’au travers la ville ces paroles dites de l’autre côté de la salle où je suis, les paroles de la pensée vive qui montent dans la salle pour dire non pas la ville, plutôt son approche, oui mais comment la rejoindre pensais-je désorienté, je sors au milieu, passe entre les statues, me pose un peu et rêve devant ce phantasme du boucher, devant une statue on rêve, devant une statue du phantasme du boucher, on rêve plus longuement non au boucher ni à son phantasme, mais au corps rêvant devant tout cela qui s’attarde, évidente évidence de l’image de ma journée qui prend du retard, alors mon corps lancé maintenant dans les escaliers rejoint d’autres métros pour d’autres ailleurs, c’est pourtant toujours la même ville, la banlieue de cette ville qui lui appartient, je crois que cette ville est une banlieue sans centre, on la déplace à chaque déplacement, Bourg-La-Reine, nouveaux arrêts devant la plaque dédiée à Charles Péguy, sa maison d’où il partit, devant laquelle à vingt ans, je m’arrêtais en pleurant, mais sur quoi, tant de soirs de ma jeunesse enfouie quelque part là où ce soir je vais, et ce lycée où je grandis, à vingt ans, et je n’en parlerai pas, ni de mon refus de voir les couloirs de l’internat, ni celui de traverser les longues traverses des salles de classes vides, image de ma vie présente, mais de ces moments de partage, temps où on ne sait ce qui tient du début de la fin, oui, foule de partage, et l’orage soudain arrive, qui n’est qu’une pluie fine, ne prend pas la peine d’éclater, seulement de tomber, comme tombe l’orage fatigué par la fatigue d’avoir été si prometteur tout le jour, et las finalement las de n’être arrivé que là, il tombe comme par politesse, pluie fine sur mon retour, le métro encore, et en partage, phrases qu’on dit vite mais qui tiennent dans l’amitié qu’on leur accorde, et nomment tout ce que je pourrais dire sur les accords et les ajustements d’une vie à sa violence, enfin arrêt saint-augustin, les paroles qu’on échange encore sur lesquelles le silence de ces pages tombent parce qu’elles n’appartiennent qu’à la vie, puis la soirée douce des repas qu’on partage pour célébrer une fin, ou un début, le sourire du frère, le repos enfin gagné sur cinq années qui dura une longue journée, la mienne n’a pas fini de commencer, quand je sors, je marche un peu, ne prends pas le métro tout de suite, me perds près de l’église de la Madeleine, où jadis (combien je me rappelle) oh la perte et le retard, les premiers mots qui ne finiraient jamais, je me perds et me retrouve, redescends sur terre et après ultime métro, rentré finalement, les yeux épuisés d’avoir trop vu les visages et les corps sans en saisir une seule seconde le mystère, et pourtant il faudra l’écrire, cela aussi, je pense, il faudra écrire une longue phrase de cette journée incompréhensible où les signes firent défaut, mais dont le défaut même figurait sans doute le signe parfait, et là — ce couple au coin de la rue, il ne pleut pas, le garçon penché sur la fille, je suis à cinq mètres, ils se regardent tellement, et lentement il la touche comme ce n’est pas possible, le visage, la gorge comme pour l’étrangler et tendrement l’embrasse, il ne sait pas si elle va refuser, elle accepte, c’est le miracle que rien n’avait prévu, alors son visage à lui se détend comme un long corps de garçon qui sait, et ses mains, il sait qu’il peut ensuite, mais quoi, d’abord continuer à l’embrasser, j’accélère le pas, le visage de la fille est caché, longs cheveux noirs qui recouvrent leurs deux visages mais non pas le désir, le garçon est plus grand qu’elle d’une tête, il descend lentement les mains sur les épaules, les seins, s’y attarde, puis la taille, se penche et je crois qu’il pleure, elle aussi, ils tremblent quand je passe à leur hauteur, ils tremblent encore quand je suis plus loin, et davantage, je baisse la tête, et tourne le coin de l’autre rue, quelle image de ma journée, je l’ignore, je me décide immédiatement de la noter telle qu’elle, en la rentrant, à cause du tremblement du garçon et des cheveux tombés miraculeusement sur leur désir, et parce que j’écoute à ce moment là dans les oreilles i might float, la porte de l’appartement s’ouvre, les fenêtres sont ouvertes, et le lit défait sur la nuit déjà là, et l’ordinateur ouvert, et l’image du phantasme du boucher mêlé aux papillons suicidaires et aux tremblements des jeunes filles qu’on embrasse pour mieux les pleurer.
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places de l’imaginaire (jamais nous ne travaillerons)
jeudi 24 mai 2012
Aux heures d’amertume, je m’imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?`
Je m’imagine : moins que moi, le souffle coupé dans la main qui saigne de tout ce que je ne saurai pas être, et pourtant ; qui d’autre que moi posera son ombre sur mon ombre ; et ma main sur tout ton corps, pour dire : voilà où je suis, la position occupée dans le monde est celle que j’invente à mesure de mes mains, enlacés dans le corps de mon propre désir, le front sur ton dos, et les larmes sèches des arrivées qui ne terminent rien — je m’imagine comme déjà ailleurs, le corps éparpillé derrière un banc du jardin botanique, emporté par les abeilles, le bruit des pas qui s’approchent ; je m’imagine, et je ne me suffis pas, je m’imagine ailleurs encore, je suis chacun que je croise, qui l’ignorent, c’est pourquoi je vais dans leur bouche dire — un pas à faire, il n’y a qu’un pas à faire.
– Et pensons à moi. Ceci me fait peu regretter le monde. J’ai de la chance de ne pas souffrir plus. Ma vie ne fut que folies douces, c’est regrettable. Bah ! faisons toutes les grimaces imaginables.
Et toutes, plus inimaginables encore — qui sont ce que l’écriture a de plus essentiel, quand les mots qu’on écrit inventent l’origine de l’écriture elle-même, et disent : ainsi sont les corps, et le monde, et voilà ceux qui les habitent.
J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Non. Dans le couloir intérieur, j’avais imaginé les refus qu’on opposerait à la possibilité de mon corps avançant au milieu d’autres pour venir les parler, dans le couloir intérieur, j’avais imaginé aussi les ongles griffées sur ma peau — mais pas l’invitation au retranchement, pas cela, non, que le monde viendrait en travers de mon ombre pour dire l’ombre ne passe pas ici, il faut que vous veniez vous, et que vous déposiez votre ombre au pied de cet arbre, dans le coucher de soleil, pour approcher.
Moi, je n’approcherai pas, là, mais ailleurs, oui, où on acceptera mon ombre aussi. Je viendrai avec le coucher de soleil pour le dire aussi, et ce n’est pas m’imaginer coucher de soleil seulement — mais oh d’avoir toutes ces heures couché avec le soleil, voyez, le désir m’est venu de l’amour, le corps vers lui approchant de tous, oui, et dans l’entrelacement de nos cheveux, les morsures qui à la commissures gercées des lèvres, — pardonnez, c’est sans doute l’alcool — diraient, oui, approche-toi, lentement, ne reste pas à la porte, viens plus profondément dire que le ciel est possible, et dans l’image du soleil possible pour tous j’ai cru que le soleil était possible pour moi aussi, et j’ai cru que mon corps était possible en le couchant auprès de lui, en lui, lentement, comme de la lumière tombée sur l’aube qui l’accepte, et je le croirai encore, quand le monde lui s’éloignerait de la terre, je le croirai pour le geste de croire : là où je veux poser mes pieds pour toujours, c’est là où j’irai encore parce que je sais le marcher, oui, je le sais, et l’ouvrir en deux comme un fruit et le boire et le cracher, oui, comme un enfant qu’on aura aimé pour le concevoir tel, aimé d’avoir été conçu.
Moi, je n’imagine pas autrement que les autres imaginent — et cela fait de moi, peut-être, une part d’eux imaginaire : où suis-je sinon qu’en eux seuls qui me font croire que je suis, un peu, une part de la lumière venue se déposer sur le monde pour que je puisse les voir, et mon ombre s’allonger, jusque là.
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
A nous, romanesques amis : ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !Non, jamais ; nous travaillerons toute la vie pour, ligne de partage, écrire chaque lettre imaginaire de ce jamais.
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le lendemain ou un autre jour (changer de brouillard)
mercredi 23 mai 2012
Le lendemain ou un autre jour — les jours se confondent et les heures : il est toujours une autre heure quelque part, alors j’ai renoncé ; oui, toujours le décalage horaire est une erreur : une invention d’ici, quand le corps désire toujours s’accorder ailleurs —, poser la valise ne repose de rien, ni du trajet, ni des départs. Ici, la pluie ne tombe même plus, sans doute de fatigue, elle a cessé. Le jour s’acharne à durer jusque si tard, mais dans sa clarté de mourant dès l’aube, il n’y a rien qui ne résiste que son déclin, à chaque minute prolongé, qui persiste, et quand la nuit vient, personne pour la voir, aucun éclat bleu soudain qui la fait surgir ; moi, je la regarde, avec mon nouveau visage, poussé sur moi comme le contraire d’un visage (j’ai laissé mes lentilles à Montréal : les yeux qui l’ont vue restent avec elle, c’est bien.)
Et peut-être la mer, tout le pays soulevé là-bas comme, non, pas la marée, mais la mer au milieu de la mer, qui sait qu’elle va mordre plus loin, plus tard, la terre déjà prête pour l’amour des corps échoués sur les rives, cette mer rouge et blanche de lumière, tout le pays là-bas tandis qu’ici tout ce pays n’est resté qu’ici, le pays d’ici, trottoirs jusque sur les murs, et pas de ciel, seulement des ouvertures entre deux immeubles qu’il faut chercher, et creuser avec ses ongles.
Comme si l’on changeait de brouillard, mais à quel taux : ici, le brouillard personne que moi ne le voit, que moi ici qui le passe comme du fil dans la toile tissée d’un jour plus long que trois ans, à lever ma toile que je rêve voir faire le tour d’un corps entier (le mien) : il fait si noir dans cette chambre, et dans ce corps, que je ne vois pas mes doigts taper dans le bruit ces mots que je me laisse dicter par la fatigue qui tout autour, sur les yeux, les cheveux qui m’invisiblent, le visage bronzé sans doute par l’attente des terres à venir, danse.
Moi, je me laisse danser par la fatigue et je pense à ce qu’il faudrait penser pour continuer d’être ailleurs ici. Je me laisserai danser jusqu’au jour suivant, s’il l’ose. Je me lèverai encore une fois bien avant l’aube, vers midi. Il fera toujours aussi nuit. La danse, sur le sol, retombée. Visage encore plus neuf, de pousser sur moi comme le contraire d’un masque. Posé contre le mur, ma valise défaite, de quel combat. Autour de la poignée, les inscriptions incompréhensibles des voyageurs — YUL, comme pour dire, langue inouïe, mais quoi. Sur la table, le travail m’attend. Moi, je ne l’attends pas, le devance même, d’une longueur de mon corps, de toute cette vie latente. Va, que la vie vienne l’épuiser, et l’inventer devant moi, plus loin.
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respire marche pars va-t’en (la douceur infinie)
mardi 22 mai 2012
il y a des cris de sirène qui me déchire l’âme
là-bas en Mandchourie un ventre tréssaille encore comme un accouchement
je voudrais
je voudrais n’avoir jamais fait mes voyagesParis, ce n’est pas vrai, je ne voudrais jamais n’avoir jamais fait ces voyages, Paris dans le même temps usé des choses, là, Paris là sous le brouillard, pas besoin de percer les nuages pour atterrir, c’est dans le nuage même que l’avion ce matin posé a fait revenir à moi l’heure d’ici, mais où est désormais l’heure juste, laissée quelque part peut-être au bord de cette eau, square de la douceur infinie, l’aube réglée sur l’aube précise où mon corps serait à son heure, entre deux heures toujours je resterai là comme entre deux portes, et le vent dehors qui bat, les pluies d’ici, et les rues d’ici semblables dans mes souvenirs à mes souvenirs qui devant moi déjà commencent à m’attendre, mais quand je lève la tête (lève la tête),
les nuages sont les mêmes, et le temps et la pluie, et la ville partout, dehors, une ville hérissée de cheveux défaits trempés jusqu’à l’os, et moi marchant la fatigue sur toutes choses comme le poids abattu de deux semaines passées à traverser les villes neuves, et la mer et les fleuves, et les rues hautes d’autres villes encore, et la langue, neuve aussi, et les révolutions dans les yeux comme à la poitrine, que se libérer de la nausée d’ici n’est pas le fait de l’avion, alors pénétrer dans la ville comme son froid entre dans le corps, pas le choix pour lui survivre et aller, lever la tête pour déceler le bleu de la mer, ou du fleuve, et le goût salé de la mer dans les yeux, non, pas le choix, seulement je sais que derrière quelque chose me précède qui pourrait être la lumière, du ciel bleu, et la couleur du ciel bleu quand on s’en va à l’inverse de la marche du soleil, que l’avion de l’ouest traverse en est vers le lever au moment où il se couche, oh, comme cela forme des couleurs mais il ne faudra rien en dire, seulement faire des voyages à jamais pour croiser cette lumière croisée qui dit la fin des voyages, et qui dit aussi : tu ne sais pas si tu reviens ou si tu pars,
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le soleil se couche jusqu’ici (Québec)
vendredi 18 mai 2012
Il faudra raconter la lumière, parce qu’elle tombe sur moi partout où je regarde, des hauteurs de Québec (la ville) ; et ce n’est pas une image, c’est d’aller jusque là, le sens d’un voyage : repousser derrière soi les continents où il fait nuit plus tôt, laisser durer la nuit jusqu’à des heures impossibles, mais c’est le miracle : ici le soleil se couche six heures plus tard, on se trompe si on parle de rotation horaire, c’est seulement question de résilience des beautés neuves, oui, c’est que ce monde-là n’est pas assez usé, et qu’il dure encore plus longtemps, qu’il repousse et écarte la fatigue plus loin, oui, et qu’il fallait venir jusqu’ici pour l’approcher et faire durer en soi le temps dans ces lieux où il tombe plus loin ; il faudra ensuite aller quelque part le ramasser et le lancer encore, et suivre sa course.
C’est comme de regarder longtemps la ville tomber, sans voir que c’est le soleil qui. Je suis venu ici pour cela aussi. J’aurai fait ce voyage pour monter jusqu’au sommet de la ville (Québec), et la voir tomber. J’écris ce soir dans cette petite chambre et dehors, j’entends les cris d’une foule — je la rêve peut-être, ou est-ce de vivre au milieu d’un mouvement levé digne et grand de jeunesse encore debout, qui fait entendre ses voix, ce soir, si vite tues, qui reviendront ; je suis venu pour cela aussi.
Je dirai un soir comme celui-là, mais plus tard, la ville Montréal et ses lignes droites qui quadrillent l’espace de la pensée ; je dirai la route vers l’est, les collines de soie verte, et le soir le chant des coyotes, les marches des corneilles dans les forêts, le battement de cœur de la forêt quand les perdrix chantent leur corps ; je dirai la maison déplacée jusqu’à la justesse de sa place accordé au monde ; je dirai la route vers le nord et l’arrivée vers le Fleuve dans le sommeil, je dirai l’odeur de Fleuve dans la mer, et comme elle semble là, toute près, la possibilité de l’ailleurs ; je dirai l’absence des phoques sur les pierres sèches ; je dirai Rimouski et les regards de ceux qui écrivaient le corps penché sur les mots à dire, les seuls qui existent, pour approcher ceux qui n’existent pas ; puis je dirai Québec (la ville, Québec).
Mais il faut choisir : « prendre la photo, ou vivre son instant », disait-il, à peu près. J’ai choisi de prendre la photo pour vivre l’instant, mais impossible de l’écrire dans ce geste-là, alors j’ai laissé mes carnets de côté ces derniers jours : je les reprendrai. Impossible d’écrire l’image qui s’impressionne en soi, dans la latence de sa chute. Je dirai plus tard la latence de sa chute et l’impression. Je raconterai la lumière tombée dehors, et sur le visage la lumière déposée aussi de tout cela au dedans, et des ombres sur la citadelle qui viennent immenses, je les dirai aussi, celles quand on veut les approcher, qui s’effacent (oh peut-être les ai-je rêvées, et les cheveux sur la pierre aussi, rêvé comme les cris des foules : pour mieux les désirer, les corps de la ville, nue dans la fatigue qui me gagne, venue se glisser contre le corps dans sa lumière de draps blancs, séchés à la simplicité du vent.)
J’ai marché Montréal, Rimouski, Québec, j’ai marché tous ces jours suivants pour ne pas avoir à les dire, seulement sentir ensuite en moi leur absence. Le soleil tombe sur cela aussi. J’ai marché le pays neuf en moi des manières de l’oublier. Il faudra cela aussi, pour l’inventer. Dire qu’ailleurs existe, que j’ai posé le pied sur lui, et que je suis revenu.
Il y a cette image que je trouve dans l’appareil, sans me souvenir de l’avoir prise. La ville près d’être retournée, tordue, invisible, mais en mouvement, lumière noire en plein jour pourtant, la ville de route et de verticalité de verre, la ville sous les pieds que je chausse. Il y a cette image que j’ai prise, et qui m’a prise avec elle, et qui m’a regardé longuement, en silence, avant de glisser loin de moi.
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monde neuf (une île)
dimanche 13 mai 2012
Fallait-il être en mouvement pour pouvoir l’écrire, et la quitter, la ville — cette étendue de ville plutôt — que je laisse derrière moi : ici depuis une semaine et pas une seconde pour la voir autrement qu’avec mes yeux, mais suffit que j’en parte, oui, pour ce voyage dans le voyage vers le nord (toujours, on ne voyage qu’au nord ; au sud, on ne fait que revenir), et je la considère cette fois avec mes mains et la note ; alors dans ce bus qui va au plus gris du ciel, une prise pour me souder à l’écran et une connexion pour me brancher au monde, l’écrire, la ville,
ses rues larges et ses blocs d’immeubles bas, double latéralité qui laisse entrer la lumière comme dans le corps éventré d’un animal allongé découpé en fine lamelle de peaux symétriquement organisées en lignes de vies parallèles et intersection (rues qui courent d’un bout de la ville à l’autre), on dit que c’est une île mais je n’ai vu ni d’eau, ni de mer, ni de Robinson, seulement des Vendredis par milliers aux milles langues, deviner en elles toute cette sauvagerie virginale qu’on prête aux îles, et ce n’est qu’en partant que je passe le pont mais posé si haut au-dessus du fleuve qu’il laisse invisible sous lui le courant qui l’entoure, et lumière blanche sur tout cela, et visages de corps passant à travers elle ils ne savent pas,
et moi j’ai les deux pieds posés sur la nouveauté du monde ils ne savent pas, cette lumière tombée crue sur eux depuis les verres lisses des immeubles accrochés au ciel (fermer les yeux, imaginer le bruit quand ces vitres viendront se briser toutes ensemble sur le sol, ouvrir les yeux), ils ne savent pas non plus, l’artifice de cette ville qu’on a construite pour qu’elle ressemble à une ville construite, elle est là, je la suis ligne à ligne, j’ai bu dans tous ces cafés tous les cafés possibles pour la veiller, j’ai accordé mon corps à deux midis à la fois et à deux aubes (il en vient plusieurs par jour), ils ne savent pas vraiment le trajet que j’ai fait pour la rejoindre (non, l’atteindre) (non, la toucher),
ils ne savent pas que j’ai traversé des passerelles plus larges que l’Océan, oh quelque chose qui ressemblait à ma vie, et les promesses qui naissent, et les serments d’indiens, les nostalgies à venir qu’il faudra recommencer, partager sans doute d’autres ailleurs, d’autres dunes et d’autres langues ; la ville dans le dos quand je la quitte lève le bras, salue, et au passage, je vois à travers à elle d’autres villes comme au travers de ses cheveux d’autres départs.
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retour du désert (au sexe des nuages)
samedi 28 avril 2012
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.
A. Rimb.
Retour — sur les trottoirs de Paris, les journaux balayés par des vents plus froids encore que cette pluie glacée qui tombe par milliers, chaque seconde jusqu’à la dernière du jour, et jusqu’au matin suivant et jusqu’à la nuit d’après : et sur tout cela : retour, mais où. Il faut tout réapprendre.
Premiers gestes refont l’apprentissage du monde après cette semaine plus loin que tous les pays : premiers gestes, aux premières heures du retour, invité à refonder le monde d’ici : et pourtant, voter dans cette salle de classe d’un lycée sans histoire, rideau de l’isoloir déchiré, urne percée, bulletin vite déposé, donne l’impression d’un mime sans consistance : rituel de mascarade où, cinq années après l’autre, la vie se donne l’impression d’être domptée, mais personne n’est dupe ; on donne la parole : personne ne la prend vraiment. Mais on fait tout de même le geste de laisser tomber un mauvais papier plié là au fond de la vase. On m’aurait demandé mon avis, moi, je ne l’aurai pas donné, j’aurais dit : là-bas, j’ai traversé la neige pour rejoindre le désert : politiques d’ailleurs. Il aurait fallu bourrer les urnes de lettres remplies jusqu’à la gorge de mots, et qu’on les lise, un peu, voir ce qui dans la vase remue encore.
Au retour, il y avait du sable dans la valise.
Au retour, il y avait l’heure un peu morte en soi de celle qui passait là-bas, décalage horaire qui n’a pas le temps d’agir dans le corps (cinq jours, c’est trop peu), mais qui demeure tout de même ; à contretemps pour toujours, je demeure entre les deux. Dans la bataille, j’aurais perdu deux heures, personne pour me les rendre ; l’ai peut-être échangé au prix du sable, et je veux bien, oui, payer ce prix-là.
Retour devant l’écran mort : connexion définitivement perdue ; ce qui change de la vie quand on s’en trouve écarté. Devrai attendre jusqu’à ce soir, écran provisoire où consigner le jour pour écrire. Les jours passés, qui me les rendra ? Perdus aussi — et pas de sable cette fois, pour me consoler, seulement de la pluie, de la pluie (j’aurais écrit, si j’avais eu ma connexion, la pluie : aurais essayé de la retenir de mes mains tapées sur les touches, est-ce que le temps s’en serait trouvé changé, en moi ? Oui.)
Au retour, sans connexion, ouvert un fichier malgré tout sur l’ordinateur — et une ligne après l’autre, c’est vingt pages déjà, d’un récit immense qui se déploie malgré moi, sous mes yeux qui l’observent, mes doigts qui en consignent les ordres. Où trouver le temps de cet immense ? Nulle part. Alors rejoindre cela aussi.
Au retour, c’est déjà d’autres départs : Aix ce soir, puis, plus loin encore déjà qui se préparent, d’autres pays, d’autres continents.
Au retour, lève la tête, quelque chose, dans les arbres, raconte déjà les sexes ouverts aux histoires ininterrompues ; les feuillages vibrent : le corps entier frémissant sous tes doigts qui dans ton sommeil font naître le désir, tu pars rejoindre le monde, et le monde, au-dessus de toi, te tend un miroir d’aube où se reflètent en dansant des insectes de proie prêts à déchirer le ventre des nuages pour agrandir les terres inconnues, là-bas, en toi, que tu vas rejoindre, que tu rejoins déjà.
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d’aucun testament
jeudi 12 avril 2012
Notre héritage n’est précédé d’aucun testament
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