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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)


[1en français dans le texte

[2car il sent marcher sur lui d’atroces solitudes

[3L’Éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement. Gn. 3.22

[4C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. Gn. 3. 24

[5Un espoir différé rend le coeur malade, Mais un désir accompli est un arbre de vie. / Celui qui méprise la parole se perd, Mais celui qui craint le précepte est récompensé. / L’enseignement du sage est une source de vie, Pour détourner des pièges de la mort. Pr. 13. 12-14

[6La langue douce est un arbre de vie, Mais la langue perverse brise l’âme. Pr. 15. 4

[7Au milieu de la place de la ville et sur les deux bords du fleuve, il y avait un arbre de vie, produisant douze fois des fruits, rendant son fruit chaque mois, et dont les feuilles servaient à la guérison des nations. […] Il n’y aura plus de nuit ; et ils n’auront besoin ni de lampe ni de lumière, parce que le Seigneur Dieu les éclairera. Et ils régneront aux siècles des siècles. Apocalypse 22. 2-5.

Un beau jour vous me dîtes cela, qu’il vous fallait écrire sur Jaccottet pour circonscrire l’espace qu’il fait trembler en vous (quelque chose comme cela)

Devant tree of life à vos côtés, j’ai pleuré devant l’une des dernières scènes : une femme qui cachait les yeux de la mère les découvre dans un geste lent et grâcieux, en remontant les mains jusqu’au ciel, toute l’image baigne dans une lumière blanche inoubliable, puis elle prend les mains de la femme et l’aide à lever ces mains au ciel, faire le signe d’offrir, tendre les mains et les séparer doucement comme on ouvre un rideau, dans la légèreté absolue de tout, puis elle murmure I give you my son

et elle donne ses mains au soleil dans une sérénité de joie et d’extase

vous vous étiez retourné vers moi à ce moment, sans doute m’entendant renifler, c’est que je ne voulais pas que vous me voyiez pleurer parce que cette image atteignait ma vie tout entière que je devais abandonner là, sur le seuil de cet écran (la joie magnifique de cette douleur-là, quand on prend conscience que la vie est plus grande et plus large que toutes les attaches de la terre)

je vous en parle aujourd’hui parce que j’ai songé pendant cette fraction de seconde où l’autre femme retire ses mains des yeux de la mère que le film entier était le chemin de deuil de la mère (la création du monde dans la musique d’une messe des morts) pendant qu’on tenait ses yeux fermés (pour mieux qu’elle les ouvre bien sûr)

j’ai pensé cela : une manière de dire : oui, je fais ton deuil pour te laisser naître (et ta vie est ma joie et mon propre deuil)

je t’abandonne pour que tu puisses vivre et mourir, et je nais par là-même à la mer, au monde vers lequel je reviens de tant t’avoir aimé, dans la conscience de sa beauté, sa majesté, et je te retrouve en lui, parce que tu es venu te dissoudre dans chaque rayon de soleil, feuille, blessure de vent, beauté matricielle et entière des choses

(et je ne peux aimer que là)

que la mort par mon geste adressé au vent est passée du côté de la lumière

et ainsi, tree of life comme le miroir de léda : un rêve sous l’aile du cygne endeuillé - puis aux dernières pages/images : ouvrir les yeux (éphéta) - et donner l’enfant au ciel,

avoir enfanté un monde qui a touché un continent et des océans de sensations (seule l’échelle du monde puisse être juste digne pour un enfant) : rendre le monde au monde et sentir en moi la somme des mondes qui m’ont traversée (parce que tout mouvement suppose sa légèreté, que seule pèse l’immobilité, les fossiles, et je m’en envole un peu pour semer encore dans l’herbe du jardin)