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JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog)


[1_Les Trachiniennes, Sophocle, traduction Robert Davreu, Actes Sud, 2011, (Parodos du Chœur).

[2_texte fantôme : écrit avant-hier, mais avalé par l’ordinateur : dans la violence de la perte, ne rien écrire d’abord, parce que la douleur est telle qu’on ne peut rien dire, à trois heures du matin, pour l’apaiser dans l’écriture qui ne fera de tout façon que mimer le geste premier sans jamais le rejoindre : restent quelques phrases. Je reprendrai ces phrases, le lendemain, sans pouvoir d’abord éprouver autre chose que la démangeaison du membre fantôme, bras ou jambe amputé dont la blessure gratte encore. Ce soir seulement, j’écris, mais avec tout ce qui s’est déposé depuis trois jours, comment l’accepter : accepter que ce texte ne dise pas tout ni même partie de ce qu’il disait, à l’origine. Il n’y a pas d’origine, je le comprends à présent. Il faut accepter la perte, et la comprendre : si le texte premier n’a pas été gardé, du moins aurais-je pour moi la joie d’avoir pu l’écrire, une première fois (texte qui m’importait plus que d’autre, oui) ; si elles n’existeront jamais, ces quelques lignes que personne ne lira (que personne n’aurait lues, de toute façon), du moins auront-elles été dites, sans doute pour être oubliées. On apprend une chose de ces douleurs, cela : on écrit toujours dans cet oubli, concédé, ou accordé par la beauté des choses. Une seconde aussi : si le site entièrement devait être emporté, ce n’est pas ma vie qui s’effacerait, mais la part arrachée à cet oubli, rien de plus (mais rien de moins). Si le site disparaissait, je l’accepterais comme un présent. Au lieu de tout réécrire, ou de l’expliquer comme je le fais maintenant, avec toute la maladresse de ce deuil encore en moi, dans les marges du texte qui servent surtout à ne pas être lues, peut-être irai-je dans les territoires non visités de moi : incitation à y aller tant qu’il est temps, et dès maintenant ? Oui, sans doute. En attendant : ces phrases déchirées, celles que j’ai pu extraire de la perte : je n’ai pas cherché finalement à en reproduire l’exacte formulation première, seulement un rythme, une pression, une exigence intérieure dans le désir de la ville : et surtout, le goût de la pluie, quand se produit l’échange de la douleur avec la joie.

[3_17 juin 1916, Moscou, Tsvétaiéva, Insomnie.